[Analyse] « Le paiement de 950 millions de francs CFA d’arriérés de salaire à José Antonio Camacho et ses adjoints illustre la volonté et la capacité du Gabon à honorer sa parole et rembourser ses dettes » (économiste)

Le Palais du Bord de mer à Libreville, siège de la Présidence gabonaise, lieu depuis lequel un changement de doctrine a été impulsé en début d'année en matière de gestion des deniers publics © DR

En rupture avec un passé récent et pour restaurer la crédibilité de sa parole et de sa signature, l’Etat gabonais a entrepris d’apurer l’ensemble des créances avérées vis-à-vis du secteur privé. Derniers bénéficiaires en date : l’ancien sélectionneur José Antonio Camacho et ses deux adjoints. 

« Qui paye ses dettes s’enrichit ». Cette maxime, bien connue dans les milieux économiques, le Gabon semble depuis quelques mois l’avoir fait sienne.

En rupture avec une pratique passée et, il faut le reconnaître, délétère compte tenu de ses effets négatifs (notamment sur le niveau de confiance des investisseurs), l’Etat gabonais a entrepris de purger les dettes qu’il a contractées auprès du secteur privé.

Une nouvelle illustration en a été donné cette semaine avec le paiement d’une partie importante des arriérés des salaires de José Antonio Camacho et ses deux adjoints, Rodena et Laborie. Les anciens encadreurs des Panthères ont respectivement reçu des virements de 703, 124 et 123 millions de francs CFA, soit un total de 950 millions de francs CFA.

« Le paiement de 950 millions de francs CFA d’arriérés de salaire à José Antonio Camacho et ses adjoints illustre la volonté et la capacité du Gabon à honorer sa parole et rembourser ses dettes », commente un économiste.

Il faut dire que le fait est loin d’être isolé. Il s’inscrit dans un véritable tendance. Trois mois auparavant, ce sont 312 millions de francs CFA d’arriérés de salaire qui ont été versés à l’ancien directeur technique de l’équipe nationale, António Garrido (lire notre article).

Les bénéficiaires sont autant les entreprises privées que les agents de l’Etat

Mais il n’y a pas que dans le football, loin de là, que l’Etat gabonais se fait fort de purger ses dettes. Les entreprises bénéficient également à plein de ce mouvement. Après avoir reçu 26 milliards de FCFA au premier trimestre 2019, 38,5 milliards au second trimestre 2019, les entreprises privés créancières de l’Etat ont, en dépit de la crise du Covid-19, continué de percevoir de nouveaux versements au titre du remboursement de la dette intérieure (lire notre article).

Dans un communiqué daté du 18 mars dernier, le ministre de l’Economie et des Finances, Jean Marie Ogandaga, invitait les représentants de quelque 93 entreprises à se présenter, à l’issue d’un audit réalisé par le célèbre cabinet par PricewaterhouseCoopers (PwC), à la Direction générale de la Dette afin de percevoir les arriérés de paiement des dépenses extra-budgétaires réalisés du 17 décembre 2018 au 15 octobre 2019, une période durant laquelle Brice Laccruche Alihanga, aujourd’hui en prison pour corruption, était directeur de cabinet de la Présidence (lire notre article).

Le secteur privé n’est pas le seul à en bénéficier. C’est le cas également, depuis le début de l’année, des agents publics. C’est ainsi que depuis le mois d’avril l’arriéré de Prime d’incitation à la performance remontant au troisième trimestre 2015 dû aux personnels de santé a été versé par l’Etat. Idem pour la PIP due aux agents des régies financières de l’Etat (lire notre article). Mi-juin, 48 agents de la CNOGEMCNI ont perçu 1,222 milliards de francs CFA au titre de sept mois d’arriérés de salaire et de droits sociaux (lire notre article).

Pour les économistes, cette tendance nouvelle, tout juste amorcée depuis le début de l’année en rupture avec un passé récent, est très positive. « Depuis le début de l’année, on assiste à bas bruit à une petite mais véritable révolution », dit un analyste londonien, spécialiste de l’Afrique avant d’expliquer : « Les autorités ont la volonté de respecter les engagements financiers pris par l’Etat. On constate que celui-ci purge peu à peu ses dettes. On constate également que les délais de paiement, autrefois très extensibles, se raccourcissent », fait-il observer. Et, souligne-t-il, « Tout cela est d’autant plus remarquable que la période actuelle, marquée par les conséquences économiques de la crise du Covid-19, n’est pas des plus faciles ».

Une révolution amorcée en début d’année

Il y a quelques semaines à peine, en juin dernier, un élément est venue renforcer cette tendance de gérer différemment les deniers publics : l’instauration d’un visa de conformité et d’opportunité de la Présidence de la République. Désormais, aucun engagement financier ne sera pris, aucun contrat ne sera passé sans que la plus haute institution du pays ait donné son aval. Un dispositif technique qui permet de garantir davantage de rationalité et de cohérence dans l’engagement des fonds publics.

« Clairement, depuis le début 2020, il y a un avant et un après. Désormais, l’Etat tient parole et règle rubis sur l’ongle dans des délais raisonnables. Aucun engagement n’est pris si l’on doute du fait qu’il pourra être tenu. D’ailleurs, la loi de Finances rectificative 2020 qui vient d’être adoptée est marquée par un niveau de sincérité sans précédent », confie une source au sein du Palais du Bord de mer qui jure en outre qu' »aucun contrat inutile ou dont le montant est excessif ne sera plus signé à l’avenir ». « L’argent public ne sert qu’à une chose : répondre aux priorités quotidiennes des Gabonais », martèle-t-il.

Au Gabon, la rupture, fût-elle silencieuse, a bel et bien eu lieu.