Fake news : « Tentative d’arrestation » d’un avocat au Gabon en pleine opération anti-corruption, RFI tombe dans le panneau

RFI est souvent pointée du doigt pour sa couverture jugée partiale de l'actualité politique au Gabon © DR

Sur sa page Facebook, Me Anges Kevin Nzigou, réputé pour sa propension à rechercher les lumières médiatiques, avait affirmé avoir reçu dans la nuit du dimanche 24 au lundi 25 novembre la visite d’un « commando » venu l’arrêter. Des allégations qui ne reposent sur aucun témoignage et qui ont été catégoriquement démenties par des sources proches de l’enquête. Ce qui n’a pas empêché RFI ce matin de relayer la vraie-fausse « information ». 

C’était précisément le but de l’opération. Donner un écho médiatique à l’international pour tenter d’influer sur l’action des autorités en pleine opération anti-corruption.

Le mécanisme est bien connu. Un activiste poste un message sur les réseaux sociaux. Les médias en ligne proche de l’opposition lui font aussitôt écho, puis les médias internationaux francophones sont invités à relayer ce qui, de simple rumeur reposant sur des on-dit, est devenue entre temps une potentielle information.

C’est ce qui s’est passé hier avec la présumée tentative d’arrestation, pour le moins rocambolesque, de l’avocat Anges Kevin Nzigou, réputé pour embrasser des causes médiatiques. Après son combat en faveur de la déclaration de vacance du pouvoir présidentiel, le voici défenseur de certaines personnalités mises en cause dans l’opération main propre, baptisée Scorpion ou Mamba 2.

Le matin, celui-ci relate sur sa page Facebook une supposée tentative d’arrestation dont les éléments du B2 seraient les auteurs. Dans la foulée, de manière pavlovienne, ses propos, sans avoir été contre-vérifiés, sont repris dans les médias en ligne gabonais proches de l’opposition. 24 heures plus tard, suivant une mécanique bien rodée, la vraie-fausse nouvelle fait l’objet d’un reportage sur la radio RFI.

Depuis ce mardi 26 octobre au matin, la nouvelle tourne en boucle dans les journaux Afrique. La Libreville, a l’instar d’autres médias, avait pourtant révélé le pot-aux-roses, c’est à dire le but de la manœuvre : attirer l’attention des médias pour tenter de mettre sous pression les autorités (lire notre article). Cela n’a pas empêché la radio française de tomber dans le panneau.

Un reportage qui ne repose que sur un seul témoignage : celui de l’intéressé lui-même

Sans surprise, celui-ci s’affranchit des canons journalistiques pour renforcer le côté spectaculaire de l’affaire. En effet, seul le point de vue de l’avocat qui dit avoir été victime d’une tentative d’arrestation (ou d’enlèvement comme l’on dit certains médias) est donné. Loin de la règle d’or du journalisme, chère à Pierre Lazareff, le fondateur de France Soir : le point et le contre-point. Les autorités gabonaises, mises en cause, n’ont elles pas voix au chapitre.

En outre, comme l’ont écrit hier plusieurs médias, dont La Libreville, d’une part, cette histoire pose doublement problème. D’une part, les faits qui sont relatés par l’avocat relèvent davantage d’allégations que de véritables informations (qui étaient ces hommes, nul ne le sait ?) ; d’autre part et surtout, cet épisode, décrit avec grands fracas et force détails sur Facebook, ne repose que sur un seul témoignage : celui de l’intéressé lui-même. Personne d’autre n’est en mesure d’en attester la véracité. En d’autres termes, y a-t-il eu vraiment tentative d’arrestation à laquelle, qui plus est, l’intéressé a réchappé dans des conditions épiques ? Nul ne peut le certifier…

D’autant que de sources proches de l’enquête, on dément formellement toute tentative d’interpellation sur la personne d’Anges Kevin Nzigou, un avocat réputé pour ses déclarations tonitruantes et ses coups d’éclat médiatiques, ce que RFI aurait dû prendre soin de vérifier. Sans doute la parole de l’avocat – activiste est telle considérée comme d’or pour justifier que l’on s’affranchisse des règles du journalisme.

Perte de crédibilité 

Autrefois très respectée au Gabon, la radio RFI est régulièrement indexée pour sa couverture jugée partiale du pays ou son parti marqué en faveur de l’opposition (lire notre article). Fin août, l’accréditation du correspondant de RFI au Gabon avait été temporairement retirée pour diffusion de fausses nouvelles (lire notre article). Celui-ci avait affirmé dans son reportage que le président de la République ne s’était levé à aucun moment lors du défilé militaire sur le boulevard de l’Indépendance le jour de la fête nationale gabonaise le 17 août dernier. Une affirmation totalement erronée, le chef de l’Etat gabonais s’étant levé à une quinzaine de reprises comme l’ont attestées les vidéos prises à cette occasion (lire notre article), qui érode la crédibilité de RFI et questionne sa neutralité.

Depuis son lancement le 10 novembre dernier, l’opération anti-corruption visant d’ex-responsables publics suscite quantité de rumeurs. C’est ainsi que ce weekend, l’arrestation de l’ex-procureur de la République Olivier Nzaou ou encre l’interpellation du député du 5ème arrondissement de Libreville et ancien ministre Arsène Nkoghe ont été annoncées à tort.

Fake news en série

Dimanche soir, c’était au tour d’Africa 24 d’être pris la main dans le sac à fausses nouvelles. Dans le cadre de son JT consacré à l’Afrique centrale, la chaîne d’information panafricaine en continue a évoqué, photo à l’appui, ni plus ni moins que « l’interpellation de l’ex-directeur de cabinet de la présidence de la République, Brice Laccruche Alihanga » qui aurait été « placé en garde à vue pour des soupçons de corruption et d’enrichissement illicite »Une information totalement erronée qui a conduit la chaîne de télévision à diffuser démenti dans lequel elle confessait son « erreur » et présentait ses « excuses » (lire notre article).

Il se pourrait fort bien que ce qui est présenté comme une « tentative d’interpellation » (voire d’ « enlèvement » à en croire ses partisans) de l’avocat Anges Kevin Nzigou soit du même acabit.