[Gabon] Affaire du milliard disparu de Me Alfred Bongo : « Quand les avocats plaident dans les médias, c’est qu’ils sont fébriles » (haut-magistrat)

Me Anges Kevin Nzigou, l'un des avocats de Me Alfred Bongo dans l'affaire l'opposant à la banque BGFI @ DR

Depuis quelques semaines, l’affaire dite du milliard disparu de Me Alfred Bongo a quitté les prétoires pour s’étaler dans les médias. Une stratégie délibérée, voulue par les avocats du notaire. Un haut-magistrat a accepté d’en faire le décryptage pour La Libreville

C’est une affaire à l’origine qualifiée de « mystérieuse » par certains médias. Mais mystérieuse, celle-ci ne l’est peut-être plus tout à fait depuis que Me Obame Sima, l’avocat du groupe BGFI, a fait un point-presse le 11 avril dernier, levant ainsi le voile sur la « disparition » présumée du milliard de Me Alfred Bongo.

« L’historique du compte de Me Alfred Bongo révèle qu’entre le 16 et le 23 mars 2015, celui-ci a été débité de plusieurs sommes bien au-delà de ce qu’il avait reçu. Et les libellés ou motifs des opérations sont d’une éloquence indiscutable », avait alors expliqué l’avocat de BGFI Bank. « Et pour cause, la plupart d’entre eux ont été effectués par chèques facilement et objectivement vérifiables », avait-il précisé (lire notre article à ce sujet).

Si l’avocat de la partie défenderesse a fait ce point-presse, c’est pour répondre à l’accusation, qui a usé la première du même procédé. D’une manière plus générale, c’est cette dernière qui a choisi de faire sortir l’affaire des prétoires pour la mettre sur la place publique.

Une stratégie déployée en deux temps. Tout d’abord, des « fuites » ont été organisées dans la presse, en premier lieu le 27 mars dernier via la diffusion d’un « confidentiel » dans l’hebdomadaire Jeune Afrique, titré « Le mystère du milliard disparu de BGFIBank ».

Ensuite, via l’organisation quelque jours plus tard de conférences de presse à grand renfort de médias. La première a eu lieu le 4 avril dernier. C’est elle qui a poussé les avocats de BGFI à sortir du bois. La seconde a été organisée pas plus tard que ce vendredi 19 avril. Lors de celle-ci, rien de plus n’a été dit sur le fond. Du coup, on est fondé à se demander si tout cela était bien utile. Mais en réalité, les propos tenus par l’avocat de Me Alfred Bongo à cette occasion visaient à autre chose que d’apporter de nouveaux éclairages. Il s’agissait, pour lui, d’inciter de nouveau les avocats de la partie adverse à prendre la parole dans les médias et nourrir ainsi une escalade médiatique. « Nous mettons au défi BGFIBank de nous faire la démonstration de ce que nous avons dissipé 1,5 milliard de FCFA de notre fait », a lancé Me Cédric Maguisset, l’un des avocats du notaire qui animé la conférence de presse au côtés de Me Anges Kevin Nzigou (voir photo).

Mais pourquoi donc les avocats du notaire Me Alfred Bongo ont-ils choisi de faire sortir du prétoire cette affaire ? Un haut-magistrat du siège à Libreville a accepté de nous livrer ses explications afin de nous aider à y voir clair dans cette querelle de robes noires.

Pour lui, le fait de porter l’affaire dans les médias est « un signe de fébrilité ». « Quand on est sûr de son bon droit, sûr des éléments matériels que l’on verse dans le dossier, on réserve normalement son propos, ses paroles aux juges et on attend sereinement qu’ils tranchent », explique-t-il.

Ce préalable effectué, quel est, en l’espèce, son analyse ? « Je ne connais pas le fond du dossier, si ce n’est à travers les éléments – et, il est vrai qu’il y en a beaucoup – qui ont été répandus dans les médias. Mais mon intime conviction est que l’accusation (NDLR : Me Alfred Bongo) anticipe une décision judiciaire en sa défaveur. Du coup, quand celle-ci interviendra, elle pourra crier à l’injustice, à la manipulation de la justice. Et elle pourra d’autant mieux le faire que l’opinion aura été préparée par ces multiples sorties médiatiques », analyse ce magistrat.

« Quoi qu’il en soit », tranche celui-ci, « jouer l’opinion contre les juges, cela n’est pas bon. On tente d’instiller le doute sur l’impartialité de la Justice », ajoute-t-il. Et celui-ci de conclure sur une métaphore sportive : « c’est un peu comme lors d’un match de football. Quand une équipe voit qu’elle s’apprête à perdre, elle est tentée de rejeter la faute sur l’arbitrage, quand bien même celui-ci a été irréprochable… »