Interview : « La pandémie de Covid-19 montre qu’il est possible de réduire l’impact de l’activité économique sur l’environnement » (Lee White, ministre des Forêts du Gabon)

Le ministre gabonais de l'Environnement et de la Forêt, chargé du Plan climat, Lee White © DR

Dans une interview exclusive accordée à La Libreville, le ministre gabonais de l’Environnement et des Forêts Lee White, qui vient d’interdire la vente et la consommation de pangolin et de chauve-souris, deux espèces soupçonnées d’avoir participé à la propagation du Covid-19, alerte sur les liens entre crise sanitaire et environnementale et appelle chacun à en tirer les leçons en vue de la prochaine COP. 

Propos recueillis depuis Libreville (Gabon) par Florent Mbandiga

La Libreville : Le Gabon a interdit la vente et la consommation de pangolin et de chauve-souris, deux espèces soupçonnées d’avoir participé à la propagation du nouveau coronavirus, le Covid-19. Cette interdiction est-elle temporaire ou perpétuelle ?

Lee White : Le gouvernement gabonais a le devoir de veiller à la bonne santé de ses populations. Dès qu’il y a suspicion de mise en danger de la population, le principe de précaution recommande que les autorités compétentes prennent des mesures face au risque potentiel évalué selon l’état de leurs connaissances scientifiques.

La prise de cet arrêté interdisant toute exploitation des différentes espèces de pangolin et de chauve-souris était une obligation pour notre administration au vu des ravages causés par le Covid-19 dans le monde.

Cette interdiction restera en vigueur jusqu’à ce que les données de recherches scientifiques prouvent que les espèces de pangolin et de chauve-souris présentes au Gabon ne sont pas des hôtes du coronavirus ou du SRAS-COV-2 susceptible de se transmettre à l’homme.

Même si le pangolin, animal menacé d’extinction, était déjà protégé par le code forestier, sa viande très appréciée des Gabonais était toujours disponible sur les marchés de la capitale en mars, tout comme les chauve-souris. Comment l’expliquer ?

Pour rappel, le Gabon a trois espèces de pangolins : le pangolin géant qui était jusqu’alors la seule espèce intégralement protégée, et deux autres espèces de pangolin, à ventre blanc et longue queue, dont le statut de protection vient d’être renforcé par cet arrêté.

Ce sont ces deux dernières espèces qui étaient les plus fréquemment rencontrées sur les marchés. Mais aujourd’hui, question de santé publique oblige, plus aucune de ces espèces ne doit être présente sur les marchés. Pour cela des équipes du ministère des Eaux et Forêts et de L’ANPN sillonneront les marchés pour sensibiliser les populations à l’application de cette réglementation.

D’une manière générale, faudra-t-il durcir la réglementation sur la vente de la viande de brousse ?

Ce qu’il faut dire ici, c’est que nous devons être plus rigoureux et regardant sur la qualité sanitaire de la viande de brousse vendue sur nos marchés. Nous devons aussi être capables d’identifier les espèces animales potentiellement sujettes à causer des zoonoses et le plus important, c’est aussi de développer encore plus notre capacité de riposte face à ces dernières. Et pour cela, oui, nous serons parfois amenés à durcir certaines réglementations.

Alors que le monde est frappé de plein fouet par la pandémie de Covid-19, la planète respire. Les émissions de CO2 sont en chute libre. Quelles leçons en tirer pour le monde d’après vous?

La plus grande leçon à retenir, c’est que les gouvernements peuvent, s’il le juge nécessaire, réduire l’impact de l’activité économique sur l’environnement et mener des actions collectives. C’est exactement ce qui doit se faire envers l’action climatique. Si les changements climatiques ne sont pas contenus d’urgence et les mesures nécessaires ne sont pas prises, cela pourrait entraîner plus de pertes de vies humaines en Afrique que ceux causés aujourd’hui par le Covid-19. C’est le cas pour l’ épidémie du paludisme qui a provoqué le décès de plus de 150,000 personnes en Afrique. Nous devons agir au plus vite !

L’Afrique en général et le Gabon en particulier doivent-ils « verdir » leur modèle économique ? Si oui, comment ?

Le Président de la République, S.E. Ali Bongo Ondimba, à travers le Plan Stratégique Gabon Émergent (PSGE), a adopté un modèle de développement durable, à travers le pilier « Gabon vert ». Bien qu’il y ait toujours place pour l’amélioration, les grands axes sont bien ancrés. Nous avons une couverture de 88 % de forêt et une industrie forestière en expansion qui la valorise durablement. Nous disposons également d’une industrie agricole en plein développement sans déforestation.

Je citerais les mots prononcés par le feu président Omar Bongo Ondimba au Sommet de la Terre à Rio en 1992 : « Trop souvent, les pays africains se sont sentis obligés de se développer quel que soit le coût ». Aujourd’hui, nous devons restaurer les forêts de l’Afrique de l’Ouest et du Sahel afin de réduire les impacts des changements climatiques.

Quelles seront les principales priorités du Gabon lors de la prochaine COP ?

La prochaine COP, qui se déroulera très probablement en 2021, verra la mise en œuvre de l’Accord de Paris, mais sera aussi la première COP post-COVID-19. Ce sera un moment crucial de réflexion, de relance, et surtout, je l’espère, d’action collective pour trouver un nouvel équilibre pour notre planète. Nous constatons avec l’épidémie du COVID-19 que la transmission du virus est liée à notre environnement. La déforestation a conduit à la destruction des habitats naturels de certains animaux tels que les chauve-souris et les pangolins qui aujourd’hui sont à l’origine d’une catastrophe naturelle.

Vous êtes également le ministre de la Forêt. Qu’en est-il du secteur forestier en cette période de crise sanitaire qui s’est muée en crise économique ?

Comme dans tout autre secteur, c’est une période très difficile pour nous. Le secteur forestier représente le deuxième employeur au Gabon. Nos actions auront un grand impact sur le quotidien des milliers des forestiers gabonais et leurs familles. Nous travaillons et prenons les mesures nécessaires afin de maintenir l’appareil productif du secteur forestier, notamment les emplois et salaires des agents, tout en respectant les règles de prévention. C’est dans cette optique que nous espérons rebondir à la fin de la crise.

Avez-vous des chiffres sur une éventuelle baisse de la production, des exportations. Et qu’en est-il de l’emploi ?

Nous ne disposons d’aucun chiffre pour l’instant mais au regard des tendances actuelles enregistrées au niveau de l’économie mondiale, il est fort probable que nos exportations vont diminuent considérablement, probablement de l’ordre de 50 %.