Interview : Comment le PAT va (réellement) changer le Gabon ? Réponses d’Yves D. Sylvain Moussavou Boussougou

Le secrétaire général du Conseil national du Plan d'accélération de la transformation, Yves Dieudonné Sylvain Moussavou Boussougou © DR

Dans une longue interview accordée à plusieurs médias, dont La Libreville, le secrétaire général du Conseil national du Plan d’accélération de la transformation explique, de manière éclairante, la stratégie poursuivie par les autorités gabonaises à travers le PAT afin de renouer au plus vite avec la croissance et bâtir, à plus long terme, une économie plus dynamique, diversifiée et résiliente aux chocs extérieurs. Il insiste sur l’originalité de la méthode adoptée pour garantir in fine le succès d’un tel plan dont l’exécution est effective depuis le début de l’année. 

La Libreville : Pourquoi avoir mis en place le Plan d’Accélération de la Transformation ?

Yves Dieudonné Sylvain Moussavou Boussougou : Le Plan d’Accélération de la Transformation (PAT) est la réponse stratégique que les autorités publiques, en tête desquelles le président de la République Ali Bongo Ondimba, ont décidé d’apporter à une problématique essentielle, elle-même exacerbée par la brutale crise sanitaire de la covid-19 qui n’a épargné aucun pays du monde depuis le début de l’année dernière : comment préparer dès à présent « l’après-pétrole » en allumant de nouveaux moteurs de croissance et en repensant le modèle social ?

Plus clairement, comme le rappelait le chef de l’État lui-même lors du séminaire gouvernemental du 18 janvier 2021, il s’agit, après avoir subi les effets de la crise de la covid-19, de préparer et de mettre en œuvre 34 projets et réformes prioritaires qui doivent nous permettre de créer les conditions d’un rebond économique d’ici 2023 tout en réunissant les préalables nécessaires au développement de la nouvelle trajectoire de développement pour la prochaine décennie.

La LBV : Quelles sont les réformes et les projets prioritaires qui ont été retenues pour que le Gabon sorte de la crise d’ici 2023 et pour qu’il ait une trajectoire économique ascendante ?

Yves Dieudonné Sylvain Moussavou Boussougou : De manière synthétique, je dirais que pour atteindre cet objectif global tridimensionnel que poursuit le Plan d’Accélération de la Transformation (préparer « l’après-pétrole », accélérer les nouveaux moteurs de croissance et repenser notre modèle social), trois objectifs stratégiques doivent être atteints.

Le premier consiste à mettre à niveau les catalyseurs de développement ou les fondamentaux du développement afin que nous puissions créer les conditions du développement économique dans tous les secteurs, tout en contribuant à améliorer les conditions de vie des gabonais. Il s’agit ici de remettre à niveau et d’améliorer notre réseau de transport multimodal en développant des routes de qualité, un chemin de fer et des ports sûrs et performants ; de renforcer notre production en énergie et en eau afin qu’elle réponde aux besoins des ménages et des industries, de rendre plus attrayant notre environnement des affaires pour attirer plus d’investisseurs, de moderniser l’organisation et le fonctionnement des services publics en accélérant sa digitalisation mais aussi, et avant tout, en améliorant leur gouvernance.

Le deuxième objectif stratégique vise à préparer les secteurs productifs de demain en gérant le déclin progressif du pétrole et en accompagnant la montée en puissance de nouveaux secteurs qui feront la prospérité de notre pays. Étroitement lié à notre performance dans l’amélioration du cadre des affaires, l’accent sera mis dans le soutien au développement de plusieurs filières industrielles notamment dans le manganèse, le fer et l’or ou le bâtiment et travaux publics ; le développement d’une agriculture et d’une pêche dont l’objectif sera de renforcer notre souveraineté alimentaire. Dans ce contexte, et compte tenu de son poids et de son influence dans l’économie encore aujourd’hui, le ralentissement de la chute de la production pétrolière par l’amélioration de sa gouvernance, la création des conditions de transparence dans la production de cette ressource et le développement de la filière gazière figurent au nombre de projets à exécuter durant cette période.

Enfin, le troisième objectif stratégique est celui de la création des conditions d’un nouveau pacte social fondé sur une contribution accrue du secteur privé dans la réduction de l’exclusion sociale par une plus grande création d’emplois, en développant un certain nombre d’initiatives de nature à favoriser leur contribution à l’instar de la création de filière de formation adapté aux besoins de développement de leurs affaires, et une efficacité renforcée des services publics intervenants dans ces domaines de manière à garantir la présence de l’État dans le processus de création et de préservation des emplois des gabonais.

La performance du système sanitaire qui doit être réformé pour mettre l’accent sur la prévention et les soins de santé primaires garantit la qualité de vie et celle de notre système social de redistribution avec la réforme de la gouvernance des Caisses : Caisse Nationale d’Assurance Maladie et de Garantie Sociale (CNAMGS) et de la Caisse Nationale de Sécurité Sociale (CNSS), ainsi que la reforme de l’Office Pharmaceutique National dans l’optique rendre notamment le médicament disponible, accessible à moindre coût.

La LBV : quels sont les résultats attendus au terme de la mise en œuvre de ces projets ?

Yves Dieudonné Sylvain Moussavou Boussougou : Comme je l’ai dit, l’objectif immédiat, à court terme, est de garantir un retour vers la croissance positive au bout de l’année 2023 d’une part, et, à plus long terme d’autre part, de renforcer cette croissance pour engager le pays vers une nouvelle trajectoire de développement économique. Il  faut créer les conditions d’une plus grande capacité de résilience de l’économie du pays face aux chocs extérieurs. Et ses capacités de résilience proviendront de l’élargissement des secteurs qui produiront la richesse du pays demain, et notamment le secteur hors pétrole.

On considère en effet que la mise en œuvre des différents projets par secteur devrait avoir une incidence positive sur le développement du pays et sur le quotidien des gabonais. Par exemple, la réhabilitation de 150 centres de santé d’ici 2023 devrait, en termes de résultats, augmenter les capacités de prise en charge des malades sur tout le territoire national, et en termes d’impacts, de contribuer à réduire le taux de prévalence de certaines maladies et d’améliorer notre espérance de vie à la naissance. Tout comme la construction des Centres de formation de haut niveau, à l’instar de celui N’kok, devrait permettre l’augmentation des capacités d’accueil, des offres de formation en matière de formation professionnelle ainsi que la performance des rendements externes de notre système éducatif, plus en phase avec le marché du travail.

La LBV : le Plan d’Accélération de la Transformation est-il différent du Plan Stratégique Gabon Émergent (PSGE) ?

Yves Dieudonné Sylvain Moussavou Boussougou : Non. Le PAT consiste en une révision, une adaptation conjoncturelle et une opérationnalisation du PSGE et de ses développements sectoriels. A l’instar du Plan de Relance de l’Économie (PRE) sur la période 2017-2019, au lendemain du contre-choc pétrolier de 2014, le Plan d’Accélération de la Transformation (PAT) apporte une réponse stratégique adaptée aux problèmes du pays dans le contexte actuel de crise sanitaire.

Il y a toutefois une évolution qui constitue une singularité importante : le choix du PAT a entraîné de la part des autorités, un changement de paradigme dans le processus de mise en œuvre. En effet, pour réussir la mise en œuvre d’un tel projet stratégique, l’accent a été mis sur la création d’un dispositif d’exécution spécifique articulé entre le Conseil National du Plan d’Accélération de la Transformation (CNPAT) et une vingtaine de Task-Forces, travaillant aux cotés des ministères, sur les projets prioritaires du PAT.

Question : en quoi de ce dispositif garantit l’exécution du Plan ?

Yves Dieudonné Sylvain Moussavou Boussougou : Les projets et réformes prioritaires ont été confiés à des Task-forces dans chaque secteur prioritaire. Une Task-Force est une force opérationnelle mise en place aux côtés d’un ministre dont la mission est de préparer, de suivre et de rendre compte de l’exécution d’un projet, mais aussi de mener des missions d’appui et d’expertise lorsque cela s’avère nécessaire.

L’originalité de ce dispositif est d’avoir institué au sein de chaque Task-force des groupes de travail associant toutes les parties prenantes intervenants dans la réalisation du projet. La recherche de la participation de tous les acteurs et si, nécessaire, le consensus intervient très tôt dans le processus de préparation du projet. Les dossiers arrivent sur la table de décideurs déjà époussetés d’éventuels blocages.

Ensuite, le Secrétariat Exécutif du CNPAT que j’ai l’honneur de coordonner, assiste les Task-Forces grâce au soutien technique et expert des responsables des Cellules spécialisées qui sont au nombre de quatre (Économie, Social, Transverse et Communication, et conduite du changement). Il interagit de façon permanente avec les task-forces ; identifie, lorsque cela lui est remonté, les blocages et met en branle une stratégie urgente de résolution des problèmes soulevés ; veille à la cohérence externe des réformes prises et assure la production des tableaux de bord d’exécution du plan grâce à son dispositif de suivi global.

Question : le PAT est-il financé ?

Yves Dieudonné Sylvain Moussavou Boussougou : Oui, les sources de financement du PAT ont été identifiées. Le PAT est un programme dont le financement est en cours de bouclage. Il est financé à 80 %. Pour cette année par exemple, le collectif budgétaire 2021 se justifie essentiellement par la prise en compte dans le budget de l’Etat des projets et reformes prévus dans PAT.

Le PAT sera financé par trois sources : les ressources propres de l’État, les financements extérieurs et les Partenariats Publics Privés (PPP). La situation budgétaire de notre pays,
fortement contrainte par le remboursement de la dette et les effets de la crise sanitaire qui a contribué à réduire nos recettes, nous invite à plus de créativité dans la mobilisation des ressources susceptibles de financer notre développement.

L’aspect positif de cette situation, c’est qu’aujourd’hui les deux tiers du financement du PAT sur la période 2021-2023, issus des financements extérieurs, sont disponibles et sécurisés. Bien entendu, la réflexion en matière de financement se poursuit pour compléter l’ensemble tout en veillant à établir avec les partenaires techniques et financiers, s’agissant des financements disponibles, une collaboration visant à consolider nos relations de confiance de manière à garantir une mobilisation efficace des ressources.

La LBV : est-il possible de dresser un premier bilan du PAT depuis le séminaire gouvernemental de janvier dernier ?

Yves Dieudonné Sylvain Moussavou Boussougou : Absolument ! Le Plan d’Accélération de la Transformation (PAT) a été mis en place le 19 janvier 2021 et a été adopté en Conseil des ministres, trois jours plus tard. Le Conseil National du Plan d’Accélération du Plan d’Accélération de la Transformation (CNPAT) a été mis en place le 29 janvier 2021. Le Comité d’Orientation Stratégique du Conseil s’est tenu, en présence du Premier ministre et du Coordinateur Général des Affaires Présidentielles, le 8 avril 2021 pour valider les feuilles de routes des Task-Forces et arrêter les premiers livrables dans la mise en œuvre des différents projets.

Et je peux vous garantir que les Task-forces travaillent d’arrache-pied pour arriver au terme des 100 premiers jours de la mise en œuvre de leur action, à décliner les premiers résultats. Le Secrétariat Exécutif a procédé entre le 28 avril et 3 mai à un passage en revue chaque Task-Force. Madame le Premier ministre, chef du Gouvernement, a, à son tour, auditionné les ministres-chef de file au cours d’un Conseil interministériel dédié à un exercice de revue à mi-parcours de l’exécution des projets du PAT, le 2 juin dernier.

La LBV : Peut-on avoir une idée des principales avancées ?

Yves Dieudonné Sylvain Moussavou Boussougou : Je ne pourrais pas passer en détail chacune des Task-forces car le travail qui s’y fait est colossal. Nous communiquerons dès que possible sur les premiers résultats, secteur par secteur. D’ores et déjà, au titre des avancées, il est intéressant de relever, en ce qui concerne le pivot économique, dans le secteur forestier, qu’une dizaine de concession forestières évoluant en marge de la loi ont été identifiées et des sommes importantes dues à l’État du fait des situations fiscales illicites ont été évaluées Les audits se poursuivent et de nombreuses exonérations seront suspendues par le gouvernement.

Dans le secteur pétrolier, l’engagement du président de la République de promouvoir la transparence dans la mobilisation des ressources des industries est en cours de mise en œuvre puisque le processus d’adhésion est bien engagé avec la création du Groupe d’Intérêt ITIE et le recrutement prochain du secrétaire permanent, ainsi que l’adoption d’un plan de travail.

Dans le secteur immobilier, des chantiers de construction de logement arrêtés depuis 2015 ont été relancés. Bien que lancés avant la mise en place du PAT, il faut saluer, en ce qui concerne le pivot social, la mise en service du Centre Multisectoriel de Formation Professionnel de N’kok, en attendant ceux de Mvengué et Tchengué en 2022. La réforme de l’Office National de l’Emploi (ONE) est en cours d’achèvement et devrait permettre à l’État d’améliorer ses interventions dans le processus de création d’emplois pour nos jeunes compatriotes. L’adoption d’un nouveau Code du travail est un signe de la prise en compte de cette problématique sociétale de premier plan par le gouvernement.

En ce qui concerne la Santé, l’Office Pharmaceutique National (OPN) a été transformée en société d’État, ce qui devrait contribuer à améliorer ses performances de gestion pour rendre le médicament disponible et accessible à moindre coût. Dans le même sens, en vue de renforcer la prévention et les soins de santé primaire pour améliorer l’état de santé de la population, outre la confirmation de la qualité de la coopération entre Cuba et le Gabon qui s’est traduite par la mise à disposition de ce pays ami du Gabon de 162 professionnels de santé dans notre pays, 25 chantiers de réhabilitation et d’extension d’infrastructures de santé sont en cours d’exécution.

Dans le secteur de l’éducation, le programme d’augmentation des capacités d’accueil des établissements d’accueil se poursuit. Des missions de contrôle sont sur le terrain à la demande du Premier ministre pour valider les premières étapes d’exécution des projets de réhabilitation et d’extension des structures existantes mais aussi de construction de salles de classes.

Dans le domaine des infrastructures, les discussions pour le lancement des travaux des chantiers routiers prioritaires et énergétiques s’intensifient. Dans le domaine de l’eau et de l’énergie, Vous avez suivi l’inauguration par le président de la République de la nouvelle usine d’eau potable CIM Gabon, le 21 avril dernier.

En ce qui concerne l’assainissement budgétaire dans l’optique de maîtriser les dépenses publiques et de se donner de la visibilité en termes de financement de l’économie, la dette intérieure a été certifiée à 425 milliards FCFA, la poursuite des opérations visant la maitrise de la masse salariale et la rationalisation de la création et de la gestion des Services Publics personnalisés se poursuit pour dégager des marges de manœuvre utiles afin de financer les investissements.

La LBV : Une dernière chose pour conclure ?

Yves Dieudonné Sylvain Moussavou Boussougou : Le PAT est en cours d’exécution. Celle-ci se déroule à bon rythme. Le CNPAT se met progressivement en place pour veiller à la bonne coordination et à l’exécution in fine de ce plan. C’est un défi à la fois politique et managérial. Notre partition, en ce qui nous concerne, est managériale. Nous essayons au maximum d’accompagner le gouvernement afin qu’il réussisse la mise en œuvre de ce projet qui va transformer le quotidien des gabonais d’ici à 2023. Il s’agit donc un projet majeur.