Gabon : Brice Laccruche Alihanga, Patrichi Tanasa et Noël Mboumba soupçonnés d’être impliqués dans une nouvelle affaire de corruption

L'ex-directeur de cabinet de la Présidence, Brice Laccruche Alihanga en octobre 2019 © DR

Autrefois partagé, le très lucratif marché des résidus atmosphériques de la Sogara, seule raffinerie au Gabon, était ces dernières années entre les mains d’une seule société de trading, le suisse Augusta. Un contrat négocié à l’époque, indique La Lettre du Continent au terme d’une enquête fouillée, par l’ancien directeur de cabinet de la Présidence de la République, Brice Laccruche Alihanga, incarcéré depuis pour corruption, et dont auraient également profité l’ex-ADG de la Gabon Oil Company (GOC), Christian Patrichi Tanasa, ainsi que l’ex-ministre du Pétrole, Noël Mboumba. 

Les années du temps où Brice Laccruche Alihanga était le surpuissant directeur de cabinet de la Présidence de la République n’en finissent pas de révéler leurs secrets. Dernier exemple en date : ce qu’il est convenu d’appeler « l’affaire Augusta » dont La Lettre du Continent dévoile les derniers détails dans un article paru aujourd’hui sur son site internet.

En décembre 2017, un contrat est signé entre la Société gabonaise de raffinage (Sogara), l’unique raffinerie du pays, représentée à l’époque par l’ancien ministre du Pétrole, Noël Mboumba, et la société de trading pétrolier suisse, Augusta Energy DMCC. Adossé à un préfinancement de 250 millions $ dont le montage a été effectué par la Mauritius Commercial Bank, le contrat, qui court jusqu’en 2022, porte sur l’enlèvement sur une période de 4 ans, de janvier 2018 à décembre 2022, de 500 000 tonnes de résidu atmosphérique (RAT-Rabi) produites par la Sogara, une société absorbée l’an dernier par la Gabon Oil Company (GOC).

Mais « après la chute de Brice Laccruche Alihanga, emprisonné depuis décembre 2019, les conseillers présidentiels qui ont repris le dossier se sont rendus compte que la Sogara ne produisait que 350 000 de RAT par an, et non les 500 000 qu’elle s’est engagée à livrer à Augusta », informe La Lettre du Continent, qui fait observer que « comme dans tout contrat de trading, si les volumes prévus ne sont pas livrés, le contrat est tacitement reconduit. Estimant que l’accord passé avec Augusta créait, de fait, un lien presque indénouable entre le Gabon et le trader, la présidence gabonaise a donc dénoncé le contrat », éclaire le bi-mensuel.

Contrat léonin

En effet, la capacité de raffinage de la Sogara ne permet pas à cette dernière de fournir les 500.000 tonnes métriques dans les délais prévus au contrat. Avec une moyenne de 350.000 de tonnes métriques par an, la raffinerie gabonaise aurait besoin d’augmenter ses capacités de raffinement de 30 % pour atteindre les volumes prévus au contrat. Dans le cas contraire, le contrat se retrouve tacitement et perpétuellement reconduit jusqu’à – hypothétiquement – ce que le volume convenu soit délivré. Une disposition jugée « abusive » par la Présidence gabonaise.

Mais là n’est pas son seul grief contre un contrat jugé « léonin ». Le Palais du Bord de mer reproche également la signature de ce contrat sans appel d’offres, ce qui contrevient frontalement à la réglementation en matière de marchés publics.

Sealand Engineering

Pire, comme l’indique La Lettre du Continent, la Présidence gabonaise soupçonne des faits de corruption. « Dans les échanges houleux qui ont suivi cette rupture, celle-ci a explicitement évoqué la possibilité qu’une part du préfinancement consenti par le trader ait été détournée via une holding mauricienne, accusation violemment rejetée par Augusta. Une société enregistrée sur l’île, Sealand Engineering, a effectivement signé un contrat de maîtrise d’ouvrage avec la Sogara peu de temps après le renouvellement du contrat d’Augusta », informe le bi-mensuel.

A ce sujet, l’un des conseils juridiques du Palais du Bord de mer fait de troublantes révélations. « 20 % du préfinancement accordé dans le cadre de cette passation de marché par la Mauritius Commercial Bank est mis à disposition d’une société tierce par la société Augusta sans que cela ne soit précisé dans le contrat de préfinancement. Qui plus est, la société bénéficiaire, dénommée Sealand Engineering, compte parmi ses administrateurs Brice Laccruche Alihanga, Patrichi Tanasa, Noël Mboumba, ainsi qu’un des responsables de la société Augusta », explique l’avocat qui affirme détenir « toutes les preuves matérielles de ce qu’il avance ».

Epilogues

Malgré la rupture cet été du contrat d’enlèvement qui la liait au trader Augusta, la raffinerie gabonaise Sogara a continué à rembourser le préfinancement de 250 millions de dollars que lui avait monté le négociant et la Mauritius Commercial Bank en 2017. Ce remboursement doit prendre fin ce mois-ci.

En attendant, pour vider les cuves de la Sogara, le Gabon s’est mis en quête d’un nouveau prestataire. Trafigura fait office de favori. Ces derniers mois, la société a effectué plusieurs opérations d’enlèvement de résidu atmosphérique.

Quant aux protagonistes gabonais cités dans ce dossier, qui sont déjà accusés d’avoir siphonné les caisses de la GOC à hauteur de 85 milliards de FCFA en deux ans (lire notre article), ils voient leur horizon judiciaire s’assombrir un peu plus. Si Noël Mboumba qui a bénéficié d’une mise en liberté provisoire début 2020, pourrait collaborer avec les enquêteurs dans le cadre de ce dossier, Brice Laccruche Alihanga et Christian Patrichi Tanasa dorment, eux, depuis fin 2019, en prison. Au vu de ces dernières révélations, ils ne sont manifestement pas prêts d’en sortir.