[Editorial] Gabon : La réforme des bourses étudiantes est un sujet trop sérieux pour être instrumentalisé (par les syndicats et les hommes politiques)

Manifestation d'élèves au Gabon ce mardi. Ici, à Moanda dans le Haut-Ogooué @ DR

Au Gabon, certains syndicats et hommes politiques tentent de tirer partie des marches de protestation des élèves contre la réforme des bourses étudiantes. Les uns pour pousser leurs propres revendications, les autres pour rebondir dans la perspective de la prochaine échéance présidentielle. Une attitude irresponsable, nullement à la hauteur des enjeux.

Pompiers pyromanes. C’est ainsi que l’on peut qualifier l’attitude de certains à l’égard des manifestations actuelles de collégiens et de lycéens. En effet, ces manifestations, loin d’être spontanées, contrairement à ce que l’on voudrait nous laisser croire, ont été – c’est un secret de Polichinelle – suscitées et organisées par les syndicats de la fonction publique, en particulier celui des enseignants, le Sena.

Ceux-ci n’ont pas hésité, suscitant l’ire des associations de parents d’élèves, à pousser dans la rue des enfants pour contester des mesures… qu’ils ont eux-mêmes proposé lors de la task force sur l’éducation réunie en août dernier au Dounia Park. Le ministre de l’Education n’a d’ailleurs pas manqué de le leur rappeler mardi lors d’une réunion vérité (lire notre article à ce sujet).

Le double-jeu des syndicats d’enseignants s’explique par le fait que ceux-ci ont leur propre agenda et leur propre stratégie. Créer le désordre doit, dans leur esprit, inciter le gouvernement à les convoquer autour de la table pour discuter, non pas tant des bourses étudiantes ou de l’amélioration des conditions de travail des élèves (qui ne sont, à leurs yeux, que des prétextes), mais des hausses de salaire, ainsi que – ne soyons pas naïfs – des revendications politiques qui n’ont rien à voir avec leur mandat syndical (lire notre dernier éditorial à ce sujet).

Cette attitude irresponsable fait écho à une autre, du même tonneau, dont font preuve certains hommes politiques. A peine les élèves sont-ils descendus dans la rue lundi dernier que ceux-ci se sont fendus de messages de soutien. C’est le cas en particulier de Jean Ping, d’Alexandre Barro Chambrier ou encore des membres de la nébuleuse des opposants réunis dans l’Appel à agir.

La ficelle est un peu grosse. L’instrumentalisation évidente et le tirage de couverture flagrant. Ici aussi, les craintes légitimes des élèves sont récupérées par quelque politicien dont le but n’est pas d’améliorer le sort des étudiants mais de se positionner devant leurs concurrents, les prendre de vitesse, dans la perspective de l’élection présidentielle de 2023.  En réalité, leur seul objectif, leur unique obsession.

En l’espèce, l’irresponsabilité de certains syndicats et de certains hommes politiques consistent à dénoncer une situation dont ils se félicitent en réalité, pour pouvoir en tirer un profit personnel. A preuve, le débat actuel sur le prétendu usage de la violence des policiers pour mater les manifestants alors qu’aucun blessé n’a été déploré. Au passage, certains, notamment les médias qui n’attendent qu’une chose : le faux-pas, plutôt que de crier avec les loups, feraient mieux de s’interroger sur l’identité de ceux qui poussent nos jeunes à descendre dans la rue, quitte à leur faire prendre des risques inconsidérés. A preuve également, le fait que ces syndicalistes et politiciens en réalité ne proposent rien en matière de réforme des bourses étudiantes, si ce n’est la conservation d’un système qu’ils n’ont cessé ces dernières années de vouer aux gémonies.

Face à cette double irresponsabilité, le gouvernement, après avoir pris les mesures qui s’imposent afin d’assurer la sécurité et l’ordre public, a choisi la bonne voie : celle d’un dialogue direct et constructif avec les intéressés, autrement dit les élèves eux-mêmes. Certes, il s’agit d’expliquer pourquoi le système actuel des bourses étudiantes, très inégalitaire et qui promeut la médiocrité, doit être réformé ; de dire en quoi la réforme aboutira, dans leur intérêt, à un système plus juste, plus méritocratique et aussi plus efficace (via la prise en compte – enfin ! – du critère d’employabilité). Mais aussi de voir, à travers ce dialogue, quelles amodiations peuvent éventuellement être apportées à la réforme.

« La critique est aisée, mais l’art est difficile », dit une célèbre formule. En démocratie, si la critique est légitime et même souhaitable, encore faudrait-elle qu’elle soit constructive. Certains syndicalistes et hommes politiques feraient bien d’y réfléchir sérieusement s’ils veulent prétendre jouer un plus grand rôle dans les années à venir.