[Éditorial] Gabon : en perte de vitesse, les syndicats franchissent la ligne rouge

Élèves au Gabon (image illustrative) @ DR

C’est un paradoxe qui n’est qu’apparent. De moins en moins représentatifs, de moins en moins suivis, les syndicats sont tentés de tomber dans l’excès pour se faire entendre. Hier, lors des « manifestations d’élèves », ils ont franchi la ligne rouge.

Spontanées. C’est ainsi qu’on a tenté hier de présenter les marches collégiennes et lycéennes qui ont eu lieu dans différentes villes du pays. Officiellement, il s’agissait de protester contre la réforme du mode d’attribution des bourses.

Mais de spontanées, ces marches d’élèves n’en avaient que l’apparence. En réalité, celles-ci ont été savamment suscitées et organisées par les syndicats d’enseignants, en particulier le Syndicat de l’éducation nationale, qui a entamé de longue date un bras de fer avec le gouvernement. Heureux hasard, celui-ci avait déposé un préavis de grève pour… le lundi 8 avril.

Mais face au risque de voir leur mot d’ordre de grève peu suivi par des militants chaque année de moins en moins nombreux, le Sena a utilisé (il faut dire le mot) de jeunes élèves, des collégiens et des lycéens, pour créer un écran de fumée et masquer la faible mobilisation du corps enseignant. Une fuite en avant qui a rendu furieux les associations de parents d’élèves qui ont estimé que, cette fois-ci, les syndicats avaient franchi la ligne rouge (lire notre article précédent).

Ce à quoi nous avons assisté hier, c’est moins la victoire des syndicats que l’aveu de leur impuissance

Alors certes, hier, les syndicats ont pavoisé. Ils n’ont pas gouté leur plaisir, y voyant même l’espoir d’un grand soir. Mais ce à quoi nous avons assisté hier, c’est moins la victoire des syndicats que l’aveu de leur impuissance, incapables qu’ils sont aujourd’hui de mobiliser dans la rue.

Il faut dire qu’au Gabon, le syndicalisme souffre d’un certain nombre de maux qui tendent, avec les années, à s’aggraver. A commencer par leur manque de représentativité. En l’espace de deux décennies, les effectifs des syndicats ont fondu comme neige au soleil. De sorte qu’aujourd’hui, la voix qu’ils expriment apparaît de plus en plus minoritaire. Or, c’est bien connu, plus on est minoritaire, plus il faut être bruyant pour se faire entendre.

Ensuite, leur posture exclusivement dénonciatrice. Certes, le gouvernement devrait, dans l’idéal, les consulter davantage. Mais le voudrait-il qu’il ne le pourrait pas. Les syndicats dénoncent mais ne proposent jamais. Surtout, ils ne tiennent pas compte des équilibres globaux, autrement dit de l’intérêt général. Paradoxalement, loin de l’idée de progrès censée les animer, ils apparaissent aujourd’hui comme des conservateurs, les défenseurs du statu quo, c’est à dire d’un système dont tout le monde s’accorde à dire (syndicats compris) qu’il ne marche pas.

Enfin, et ça n’est un secret pour personne, ces syndicats souffrent d’un excès de politisation. Ces dernières années, leurs dirigeants se sont éloignés, au grand dam de la base, de l’action syndicale pour épouser le combat politique. Le secrétaire général du Syndicat de l’Education nationale, M. Fridolin Mve Messa, était candidat aux élections législatives pour un parti d’opposition. Il a échoué à se faire élire. Une mésaventure qui rappelle étrangement celle d’une autre figure syndicale, Marcel Libama, candidat pour l’Union Nationale, un autre parti d’opposition. Quant à Jean-Rémy Yama, le leader de Dynamique Unitaire, premier syndicat chez les fonctionnaires, il est, et ne s’en cache pas, l’un des intimes de Jean Ping dont il partage tous les combats.

Entre boire ou conduire, il faut choisir, disait il y a quelques années un slogan de la sécurité routière. Eh bien, entre militantisme syndical et politique, c’est la même chose. Pour qu’enfin le syndicalisme retrouve ses lettres de noblesse et qu’à l’action spectaculaire, destinée aux médias et aux réseaux sociaux, il privilégie le dialogue constructif et le travail. Il en va de l’intérêt de leurs militants comme de l’ensemble des Gabonais.