Dix ans au pouvoir d’Ali Bongo : Pourquoi le reportage de la Deutsche Welle fait sourire au Gabon

Le président Ali Bongo Ondimba, tout sourire, s'adressant aux Gabonais lors d'un meeting le 5 octobre dernier à Libreville © DR

A l’occasion du dixième anniversaire de l’investiture à la présidence du Gabon d’Ali Bongo Ondimba, la radio allemande, souvent louée en Afrique pour sa neutralité et sa rigueur, a réalisé un reportage jugé partiel, partial et qui s’affranchit des canons journalistiques traditionnels. Explication. 

C’est une ornière dans laquelle tombe souvent les journalistes des médias occidentaux, sans doute « à l’insu de leur plein gré » comme dirait un ancien champion cycliste français : la caricature du Gabon. En réalité, la copie conforme du tableau classiquement brossé par ceux qui sont eux-mêmes baptisés « activistes », en réalité des opposants souvent très radicaux, dont le terrain de jeu est le réseaux sociaux, le but, le Gabon bashing, et leurs cibles : le journaliste de préférence issu d’un « grand » média occidental.

La Deutsche Welle, radio allemande de solide réputation, y avait longtemps échappé. A la faveur d’un reportage ce jeudi 24 octobre sur les dix ans au pouvoir d’Ali Bongo Ondimba, elle n’a pu cette fois-ci l’éviter.

Son reportage commence par une affirmation, une thèse censée tenir lieu de vérité absolue, dont la force est à peine atténuée par l’usage du passé composé : « l’absence prolongée du président gabonais a, au début, plongé le pays dans une période d’incertitude. Les informations au sujet de son état de santé étaient des plus alarmistes », indique-t-elle d’emblée, plantant ainsi le décor.

Pour étayer la thèse implicite de son reportage, la Deutsche Welle choisit de donner la parole à Franck Ndjimbi. Celui qui se présente comme un activiste aux yeux des médias, ce qui est censé être un gage de neutralité, pour mieux feindre la neutralité, est en réalité un membre de l’opposition radical, proche de Jean Ping. Il est le frère de François, le fondateur du site d’information Gabonreview, connu pour ses pamphlets contre le pouvoir gabonais. De ces éléments, DW ne fait nullement mention.

Sa thèse tient en deux points : le pouvoir est usurpé au Gabon par des personnalités non élues et inconnues de la Constitution (comprendre : Ali Bongo n’est pas en état de diriger le pays ; c’est son directeur de cabinet, Brice Laccruche Alihanga, qui tire toutes les ficelles) et les institutions sont paralysées (autrement dit, le pays est bloqué, il est dans une impasse).

Un propos qui fait sourire ce professeur en droit constitutionnel de l’Université de l’UOB. « C’est la perception que l’opposition et les activistes qui les soutiennent défendent classiquement. Mais il faut simplement dire que le directeur de cabinet, qui n’est certes pas élu, tient son pouvoir du président et que partout ailleurs dans le monde, en Allemagne, en France, aux Etats-Unis etc., ce poste concentre beaucoup de pouvoirs car le directeur de cabinet est le premier collaborateur du président. Il n’y a en cela aucune spécificité gabonaise », explique l’universitaire, faisant observer au passage que « le premier ministre, s’il est mentionné dans la Constitution, n’est pas non plus élu. Il n’en est, à l’instar du directeur de cabinet, pas moins légitime. »

Sources partisanes

Quant au supposé blocage des institutions, l’affirmation arrache un nouveau rictus à notre interlocuteur. « C’est la thèse de ceux qui rêvent de voir déclencher la vacance du pouvoir. Mais la fenêtre de tir qu’il y a pu avoir en fin d’année dernière s’est depuis refermée avec le retour du président Ali Bongo », observe-t-il. Et celui-ci de préciser : « aujourd’hui, toutes les institutions fonctionnent. La président est de retour depuis le mois de mars et s’est montré très actif. Un gouvernement, avec à sa tête un nouveau premier ministre, a été nommé en janvier et remanié en juin. Les conseils des ministres se tiennent à échéance régulière. Le projet de loi de finances a été tout récemment adopté. L’assemblée nationale siège, tout comme le Sénat. Les institutions judiciaires, à l’instar de la Cour constitutionnelle ou ont fait leur rentrée normalement, etc»

De fait, dans son reportage, la Deutsche Welle omet de mentionner ses éléments. Aux faits, objectifs par définition, elle semble préférer le commentaire, subjectif par nature, a fortiori quand celui-ci est ouvertement partisan. Le président Ali Bongo a eu beau recevoir plus d’une quinzaine de chefs d’Etat depuis le mois de mai au Palais du bord de mer, y enchaîner les réunions, s’être déplacé en septembre en province (dans le Haut-Ogooué, sud-est du pays), s’être adressé à la foule depuis une tribune dans le 6ème arrondissement de Libreville début octobre (voir photo) et s’apprêter à reprendre ses déplacements à l’international, etc., tout cela semble-t-il ne compte pas pour la DW qui préfère l’opinion de quelque opposant.

La messe est dite. Le reste est à l’avenant. Du même acabit, à l’instar du commentaire du dénommé Arsel Moro Ngui, dont la qualité n’est pas mentionnée dans l’article, ou de ce « professeur en science politique de l’Université Omar Bongo de Libreville » que la DW préfère, cela va sans dire, préfère garder anonyme. Passons également sur la pratique, inélégante, du name shaming, concernant en l’espèce le porte-parole de la présidence dont la vocation en réalité est de montrer que l’on a fait un effort d’impartialité en tentant – en vain – de donner la parole à la partie défenderesse qui n’en a pas voulu, comme si une seule personne au Gabon était capable de défendre le bilan du président. La ficelle, convenons-en, est un peu grosse. Mais la stratégie, éculée, est régulièrement utilisée (pour un exemple, voir le reportage récent de RFI).

Parti-pris journalistique

« La Deutsche Welle est victime d’un syndrome qui frappe les médias occidentaux d’une manière générale, qui se vivent comme un quatrième pouvoir et qui ont tendance à s’extraire des règles du journalisme pour tomber dans le militantisme. Dans ces médias, l’opinion, à l’instar d’une métastase, y a remplacé l’information qui suppose neutralité et objectivité », analyse une plume du grand quotidien institutionnel gabonais L’Union.

Les exemples en la matière sont pléthore. L’accréditation du correspondant de RFI au Gabon, Yves-Laurent Goma, a été suspendue en août dernier pour diffusion de fausses nouvelles (lire notre article) et la radio française est souvent pointée du doigt pour son penchant en faveur de l’opposition (lire notre article).

En novembre dernier, BBC Africa avait elle aussi été prise en défaut. Elle avait annoncé le décès d’Ali Bongo avant de se rétracter quelques heures plus tard et de s’excuser platement (lire notre article).

Il y a quelques semaines, début septembre, c’était au tour de l’agence de presse Bloomberg d’indiquer que l’état de santé du président Ali Bongo s’était sensiblement dégradé au point que celui-ci devait être hospitalisé. Des allégations purement fantaisistes, le chef de l’Etat gabonais étant revenu en pleine forme au Gabon quelques jours plus tard… (lire notre article)

Un manque d’objectivité à l’origine d’une perte de crédibilité

Qu’ils diffusent sur le plan national ou à l’international, les médias occidentaux sont sévèrement jugés par les lecteurs des pays concernés qui reprochent à leurs journalistes de se muer trop souvent en procureurs et de privilégier le commentaire (autrement dit, leur opinion) au fait. Dans dans la dernière enquête sur le sentiment de confiance des Français envers les institutions réalisée chaque année par le Centre d’études sur la vie politique française (Science Po Paris) et dont les résultats ont été publiés en septembre dernier, les médias arrivent avant-dernier du classement avec seulement 21 % d’opinion favorable. Seuls les partis politiques font pire avec 11 % seulement d’opinion favorable.

La même tendance est observée partout ailleurs en Europe comme en Amérique du Nord. Le manque d’objectivité des médias explique la perte de crédibilité dont ils sont l’objet.