Reconnaissant l’existence d’un « pacte corruptif » au bénéfice de Jean François Ntoutoume Emane, la Cour d’appel de Paris annule une sentence arbitrale favorable à Webcor ITP qui condamnait l’Etat du Gabon à lui verser 72 milliards de FCFA

Jean François Ntoutoume Emane (à droite) aux côtés de Jean Ping, son allié politique © DR

Société de droit maltais détenant 60 % du capital de la société du Grand Marché de Libreville, créée en vue de la réalisation d’un projet – décidé en 2008 – de construction d’un nouveau marché à Libreville, Webcor ITP avait initié une procédure d’arbitrage devant la Chambre de commerce et d’industrie (CCI) de Paris après que les différentes conventions signées furent dénoncées par l’Etat gabonais.

Webcor ITP, qui demandait une indemnisation de plus de 690 milliards FCFA, avait obtenu le 21 juin 2018 à travers une sentence rendue par le Tribunal arbitral qui reconnaissait les torts de l’Etat gabonais, un dédommagement d’environ 60 milliards FCFA, ce qui, avec les intérêts a fini par représenter plus de 72 milliards FCFA.

Mais suite à un recours en annulation introduit par les avocats de l’Etat gabonais devant la Cour d’appel de Paris, des investigations complémentaires ont été effectuées. « Il est apparu que certains documents présentés au Tribunal arbitral par la société Webcor ITP comportaient des fausses signatures. En outre, la société Grand Marché de Libreville et à Webcor ITP ont obtenu, de la part de fonctionnaires indélicats au Gabon, des documents confidentiels appartenant et à l’usage exclusif de la République Gabonaise. Enfin, la société Webcor ITP a offert à M. Jean François Ntoutoume Emane un cadeau important pour son voyage de noces », indique l’un des avocats de la partie gabonaise.

« Corruption d’agent public étranger »

Preuve de la gravité de ces allégations, l’Etat gabonais a fait à l’époque une demande d’entraide judiciaire auprès des autorités Maltaises pour « corruption d’agent public étranger en la personne de M. Jean- François Ntoutoume Emane, alors maire de la commune de Libreville et auparavant monsieur le Premier ministre du gouvernement de la République gabonaise », informe cet avocat.

Face à ces éléments irréfutables, la Cour d’appel de Paris n’a pas tergiversé. Dans son arrêt du 25 mai 2021, elle reconnaît l’existence d’un « pacte corruptif » et annule purement et simplement la sentence arbitrale rendue en 2018.

« En l’état de l’ensemble de ces éléments, dont le tribunal arbitral n’avait pas connaissance au jour de la sentence, la sentence rendue le 21 juin 2018, ne peut entrer dans l’ordre juridique français alors qu’en indemnisant les sociétés Webcor ITP et GML du préjudice qu’elles auraient subis a en réparation des pertes causées et du gain manqué par l’effet de la résiliation unilatérale des trois conventions précitées, la reconnaissance ou l’exécution en France de cette sentence permet à la société Webcor ITP et la société du GML de retirer les bénéfices du pacte corruptif de sorte qu’elle méconnaît la conception française de l’ordre public international », stipule l’arrêt de la Cour d’appel de Paris.

Un arrêt qui insiste sur la lourde responsabilité dans cette affaire de l’ancien premier ministre et maire de Libreville. « M. Ntoutoume Emane, maire de Libreville, était ainsi à l’initiative et au centre de ce projet, ce que rappelle en outre le contrat cadre signé le 12 juin 2010 entre la commune de Libreville représentée par son maire et la société Webcor ITP », insiste la juridiction française.

Opérateurs peu scrupuleux

Du côté de Libreville, on se dit satisfait par une telle décision de justice qualifiée d’importante. « Cette décision est importante car, notre pays a vu ou voit des investisseurs ou des opérateurs envisager des projets qui parfois ne voient pas le jour et qui trouvent auprès des juridictions internationales une porte d’entrée pour tenter de se faire indemniser de manière injuste et assez opportune, il faut bien l’avouer », fait observer l’un des avocats de l’Etat gabonais.

Reste à savoir désormais quelles suites seront données à cette affaire, tant vis-à-vis de la société Webcor que de Jean François Ntoutoume Emane. Le Gabon mène actuellement une vaste campagne anti-corruption. La liste de ses victimes pourrait prochainement s’allonger.