Interview : « Il y a une forme de schizophrénie en France vis-à-vis du Gabon » (Universitaire)

La France est-elle schizophrène à l'égard du Gabon ? © DR

L’adhésion du Gabon au Commonwealth le 25 juin dernier a donné lieu à beaucoup de commentaires, en particulier en… France. Cet événement est l’occasion de s’interroger sur la relation, aussi complexe que singulière, parfois tumultueuse, entre la France et le Gabon. Nous avons demandé à un professeur en science politique de l’Université Omar Bongo (UOB) de Libreville, qui a longtemps exercé en France, de nous éclairer. Interview.

La Libreville : L’adhésion du Gabon au Commonwealth a suscité autant sinon plus de commentaires en France qu’au Gabon. Comment l’expliquer ?

Universitaire : Malgré les dénégations officielles, de part et d’autre d’ailleurs, à Paris comme à Libreville, l’adhésion du Gabon au Commonwealth, la grande organisation rivale de la Francophonie, est un sérieux coup porté à l’influence de la France en Afrique. A tort ou à raison, elle envoie le signal que la France n’est plus attractive aux yeux de l’Afrique en général et de l’Afrique francophone en particulier ; qu’elle est une puissance du passé à l’avenir incertain ; en tout cas, qu’elle n’est plus aussi désirable qu’avant.

LLB : Comment expliquez-vous ce phénomène, vous qui avez longtemps vécu et travaillé en France ?

U : De mon point de vue, il y a un aspect objectif et subjectif. De manière objective, la France ne représente plus un modèle en Afrique. Elle est perçue comme une puissance, certes encore forte, mais en déclin. Il faut dire que les hommes politiques qui connaissent réellement l’Afrique sont de plus en plus rares. La part de marché des entreprises françaises est en net recul. Etc. Par ailleurs, à travers les images montrées à la télé, la France donne l’impression d’être un pays faible qui a de plus en plus de mal à faire respecter l’ordre public avec une montée préoccupante de l’insécurité et une difficulté grandissante à contrôler ses frontières, ce qui nourrit les extrêmes. Mais il y a aussi un aspect subjectif. Pour être désiré, encore faut-il soit même se concevoir comme étant désirable. Or, la France qui passe son temps à s’excuser sur la colonisation – alors qu’il ne s’agit en rien, si je mets à part le cas algérien qui est très spécifique, d’une demande des pays africains mais plutôt de groupes de pression relayés par les médias occidentaux -, cela renvoie l’image d’un pays qui ne s’assume pas, qui n’est pas fier de son passé, qui est – comme pour tout pays – forcément complexe, et qui donc ne s’aime pas. Or, comment aimer quelqu’un qui ne s’aime pas lui-même ? Quand vous voulez séduire, il faut vous montrer sous vos meilleurs atours. Si vous vous auto-dévalorisez, cela ne fonctionne pas. La France en Afrique aujourd’hui, c’est un peu ça.

LLB : La France ne paye-t-elle pas également les conséquences de certaines affaires judiciaires qui suscite la controverse ?

U : Il est vrai que certaines procédures, lancées en France, qui concernent les pays africains, ne sont pas pour arranger les choses. Sans me prononcer sur le fond, je constate que l’affaire dite des biens mal acquis est perçue par une partie non négligeable des opinions africaines comme étant un anachronisme et quelque chose qui n’est pas légitime. En clair, pourquoi la France juge-t-elle des responsables africains ? Que n’entendrait-on pas si c’était l’inverse ! Au Gabon, ce sentiment prévaut également dans l’affaire Brice Laccruche Alihanga (du nom de l’ex-directeur de cabinet de la Présidence, mis en examen pour corruption et détournement de fonds, NDLR). Les Gabonais, qu’ils soient partisans de la majorité ou de l’opposition, se demandent ce que vient faire la Justice française dans ce dossier. Au nom de quoi elle se permet de convoquer des responsables gabonais. C’est perçu, à tort ou à raison, comme un relent de néo-colonialisme.

LLB :  Les relations entre la France et le Gabon paraissent, au final, plus difficiles à expliquer aujourd’hui qu’hier. Partagez-vous ce sentiment ?

U : Totalement. Jusqu’au début des années 2000, les choses étaient relativement simples. La France et le Gabon étaient installés dans un tête-à-tête que rien ne paraissait pouvoir perturber. En vingt ans, tout à changer. Les Chinois, les Indiens, les Américains, les Russes, etc., se sont invités à la table. Dans ce contexte, la lecture des relations franco-gabonaises ne peut plus être unilatérale.

LLB : C’est-à-dire ?

U : On sent qu’aujourd’hui, en France, il y a vis-à-vis du Gabon une forme de schizophrénie. Vous avez d’un coté les pouvoirs publics français, à travers les responsables politiques et les diplomates, qui font excès de politesse et font tout pour réparer une relation abîmée. Ils sont conscients que l’intérêt supérieur de la France est d’avoir une relation assainie avec le Gabon. Sur un plan économique – en particulier sur le dossier du manganèse avec Eramet – mais surtout sur le plan diplomatique – sur les questions de sécurité au moment où le Gabon est membre du Conseil de sécurité de l’ONU et de lutte contre le réchauffement climatique en particulier. Les bonnes relations interpersonnelles entre les présidents Ali Bongo et Emmanuel Macron en attestent. Mais de l’autre, ces efforts sont sapés par certains dossiers judiciaires qui polluent la relation entre Paris et Libreville, mais également par l’attitude des médias publics français comme RFI ou France 24, qui donnent l’impression de prendre systématiquement le parti de l’opposition (lire notre article à ce sujet). C’est pourquoi je parle de schizophrénie. S’agissant du Gabon, la France semble tiraillée, voulant aller à la fois à hue et à dia, ce qui ne peut la mener nulle part. Dans le même temps, d’autres, comme la Chine, l’Inde mais aussi les pays anglosaxons, semble agir en suivant une ligne plus claire. Il n’est pas étonnant que ce sont eux qui sont portés par une forte dynamique au Gabon comme ailleurs en Afrique.