Gabon : Mapangou joue la carte Milebou

L'actuel ministre de la communication et porte parole du gouvernement, Guy-Bertrand Mapangou © DR

Le ministre de la communication et porte-parole du gouvernement s’active pour tenter de faire déclencher la vacance du pouvoir au profit de la présidente du Sénat. Explication.

Guy-Bertrand Mapangou a connu son heure de gloire. C’était avant 2009 et l’arrivée au pouvoir d’Ali Bongo Ondimba. L’homme, originaire de Fougamou dans la Ngounié, ancien journaliste, était alors secrétaire général adjoint du ministère de la Défense, dirigé à l’époque par un certain… Ali Bongo Ondimba. En ce temps, M. Mapangou faisait partie du premier cercle. Il comptait parmi les conseillers les plus écoutés par Ali Bongo.

Neuf ans plus tard, de l’eau a coulé sous les ponts. Certes, Guy-Bertrand Mapangou a été nommé ministre à plusieurs reprises (délégué à l’Intérieur, délégué à la Fonction publique, de plein exercice à l’Intérieur, à l’Enseignement et de la Recherche et, enfin, à la Communication et au porte-parolat du gouvernement, son poste actuel). Mais ces fonctions, fussent-elles prestigieuses, ont eu pour l’intéressé un goût amer.

Car avant d’enchaîner les postes ministériels, Guy-Bertrand Mapangou a été nommé en 2009, tout juste après la première élection d’Ali Bongo, secrétaire général adjoint de la présidence. Il est au fait de sa puissance. Mais hélas pour lui, les choses ne dureront pas. Il ne peut en effet y avoir deux crocodiles dans le même marigot. Très tôt, le tout puissant « dir cab » du président, Maixent Accrombessi, demande la tête de Mapangou. La raison ? C’est Guy-Bertrand Mapangou qui a popularisé auprès des médias le concept de « légion étrangère » qui collera longtemps à la peau d’Accrombessi comme le sparadrap du capitaine Haddock. Ali Bongo tranche. Mapangou doit partir.

De cette période durant laquelle il n’a jamais été aussi influent auprès d’Ali Bongo, d’autant plus qu’il pilotait à l’époque la communication présidentielle, Mapangou n’a jamais fait son deuil. « L’influence, comme le pouvoir, est une drogue dure », confie l’un de ceux qui le fréquentait assidûment à l’époque. Aujourd’hui encore, l’actuel ministre de la communication évoque cette période comme un âge d’or, avec nostalgie.

Mais l’homme n’est pas de nature à se laisser abattre. Il n’a jamais tout à fait renoncé à recouvrer sa capacité d’influence au plus haut-sommet. Mais au fil des années, le président Ali Bongo a choisi de s’entourer d’autres personnalités. Et Mapangou sait combien il est difficile d’avoir été et d’être à nouveau. Sauf à ce que la mouche change de coche. C’est précisément cette stratégie que le porte-parole du gouvernement va adopter.

« Il est temps de tourner la page Ali Bongo »

L’hospitalisation du président est l’occasion de tourner la page des années Ali Bongo Ondimba, de son clan et du Haut-Ogooué au pouvoir. Son idée : pousser pour obtenir l’application de l’article 13 de la Constitution (précisant le cadre de la vacance définitive du poste de président de la République), un scénario qui permettrait d’installer, fut-ce temporairement, sur le fauteuil présidentiel, l’une de ses protégées, originaire comme lui, de la Ngounié, la présidente du Sénat, Lucie Milebou, épouse Mboussou, ce qui n’est pas pour déplaire à l’intéressée.

Le 3 décembre dernier, son mari, Michel Mboussou, l’ex-DG de la CNAMGS, a partagé sur sa page Facebook un post qui en dit long sur la perception qu’a le couple du pouvoir actuel au Gabon. Celui-ci reprend une citation du défenseur des droits de l’Homme brésilien, Dom Helder Camara. « Il y a trois sortes de violence. La première, mère de toutes les autres, est la violence institutionnelle, celle qui légalise et perpétue les dominations, les oppressions et les exploitations, celle qui écrase et lamine des millions d’hommes dans ses rouages silencieux et bien huilés. La seconde est la violence révolutionnaire, qui naît de la volonté d’abolir la première. La troisième est la violence répressive, qui a pour objet d’étouffer la seconde en se faisant l’auxiliaire et la complice de la première violence, celle qui engendre toutes les autres. Il n’y a pas de pire hypocrisie de n’appeler violence que la seconde, en feignant d’oublier la première, qui la fait naître, et la troisième qui la tue. » Une critique à peine voilée à l’encontre du régime d’Ali Bongo.

Certains y ont même vu un appel à l’insurrection ou, à tout le moins, au rétablissement de l’ordre constitutionnel supposé violé par la Cour du même nom à travers sa décision du 14 novembre dernier. D’autant que Michel Mboussou, que l’on sait très influent auprès de sa femme, n’a pas hésité, lors de la dernière assemblée générale de la Grande loge du Gabon (GLG) a évoqué auprès de ses « frères de lumière » la nécessité d’activer l’article 13 de la Constitution…

Quoi qu’il en soit, Guy-Bertrand Mapangou a trouvé en Lucie Milebou une fidèle alliée sur qui s’appuyer pour dérouler sa stratégie et atteindre son objectif : mettre en place une transition, avec à sa tête la présidente du Sénat, qui durerait possiblement plus longtemps que les 30 à 60 jours prévus pour organiser la prochaine élection présidentielle. A l’issue de cette période, Mapangou se porterait candidat à la magistrature suprême. L’homme croit en ses chances. Il compte en effet sur le rejet dans l’opinion du Haut-Ogooué, au pouvoir depuis 50 ans, sur la fracturation de la différence en différents clans et sur sa maîtrise des médias et autres relais d’influence.

Guy-Bertrand Mapangou, petites lunettes rondes posées sur le nez, est un adepte du billard à trois bandes et des manœuvres complexes. Avec le temps, il a également appris à masquer son jeu, n’hésitant pas à tirer sur ses adversaires avant de courir aux abris, quitte à laisser d’autres que lui s’exposer en première ligne.

Mais il y a deux semaines, l’homme s’est, de façon surprenante, mis à découvert. Est-ce par imprudence ou par excès de confiance ? Difficile de le dire. C’était en tout cas à l’occasion d’une interview donnée le 22 novembre dernier au site d’information Kongossa News. « Là où le Comité des Sages du PDG et les autres acteurs politiques de l’opposition ont totalement raison de monter au créneau », explique benoîtement Mapangou, « c’est dans ce second temps du développement des événements où le Gouvernement doit prendre la relève en tout point ». Un propos passé inaperçu à l’époque mais en réalité lourd de sens. Car dans l’esprit de l’intéressé, il ne souffre aucune ambiguïté. Les choses sont claires : l’équipe gouvernementale doit saisir la Cour constitutionnelle et faire constater la vacance.

« Il est temps de tourner la page Ali Bongo », a confié Guy-Bertrand Mapangou il y a une dizaine de jours à l’un de ses collègues ministres. Depuis le début du mois de novembre, soit une semaine seulement après l’hospitalisation à Riyad du président gabonais, le porte-parole du gouvernement tente de convaincre, « dans l’intérêt supérieur de la nation gabonaise » assure-t-il, ses pairs de s’engager dans cette voie. A commencer par le premier d’entre eux, le chef du gouvernement, Emmanuel Issoze Ngondet, très hésitant sur la stratégie à suivre et qui s’est rendu à Rabat il y a quelques jours à reculons, visiblement peu à son aise face à Ali Bongo.

Dans les milieux de pouvoir à Libreville, on ne se dit guère étonné par de telles manœuvres. Un ministre nous livre une clé d’explication. En 2015 déjà, Guy-Bertrand Mapangou avait été écarté de son poste de ministre de l’Intérieur et recasé à l’Enseignement supérieur un portefeuille moins sensible. Motif ? Il avait été soupçonné d’avoir élaboré un scénario visant à remplacer Ali Bongo à la tête du Gabon. Quelques années plus tard, l’histoire semble se répéter.