Gabon : Gênée par les propos controversés de Jean Ping sur France 24, l’opposition gabonaise tente de s’en désolidariser

Jean Ping sur France 24 lundi 28 février 2022 © La Libreville/capture d’écran (France 24)

Invitée par la chaine publique française France 24 lundi 28 février, Jean Ping a appelé de fait à fomenter un « coup d’Etat » au Gabon et évoqué explicitement le spectre d’une « guerre civile » qu’il pourrait susciter. A ce stade, malgré la gravité de telles déclarations, les autorités gabonaises n’ont pas réagi. Mais dans les rangs de l’opposition, les principaux leaders tentent déjà de se désolidariser du leader de la CNR. Explications. 

La vie politique gabonaise est faite de complexités et de subtilités.

De prime abord, les déclarations faites par Jean Ping sur France 24 ce lundi 28 février, qui ont choqué une grande majorité de Gabonais, semblaient avoir pour cible principale le président Ali Bongo Ondimba.

« Je suis en train de tracer la ligne à suivre, et mes partisans sont là. Je les vois tous les jours. Il suffit de claquer des doigts pour qu’ils avancent dans une direction ou dans une autre », n’a pas craint de déclarer l’ancien candidat malheureux à l’élection présidentielle de 2016 qui n’a de cesse depuis 6 ans de ruminer sa défaite, avant d’ajouter « il n’y aura pas d’élections [en 2023]. Nous accéderons au pouvoir avant, d’une manière ou d’une autre », laissant ainsi planer le spectre d’une « guerre civile ».

Mais en réalité, son objectif est autre. Disparu des écrans radars durant plusieurs mois (des sources évoquent des problèmes de santé dû à son âge avancé), Jean Ping tente de récupérer, à un an de la prochaine présidentielle, le leadership de l’opposition que d’autres, nombreux, aimeraient lui ravir.

Volonté de revenir au centre du jeu

D’où sa sortie tonitruante et mal-à propos (une semaine seulement après le Sommet UE-UA où Ali Bongo Ondimba s’est particulièrement illustré). « Pour Jean Ping, c’est une manière de dire aux autres leaders de l’opposition qu’il est encore là. Qu’il est encore au centre du jeu. Qu’il faut compter sur lui. Et qu’il a aussi encore un pouvoir de nuisance », explique un professeur en science politique de l’UOB.

Ce pouvoir de nuisance, Jean Ping en a usé ce lundi. Car ses déclarations, et il le sait, ont provoqué une gêne du côté de l’opposition. « Il aurait mieux valu combattre Ali Bongo Ondimba en évoquant son bilan ; ça aurait été plus efficace », déplore un député Les Démocrates, le parti de Guy Nzouba-Ndama.

Coup de poignard dans le dos de l’opposition

« Parler de coup d’Etat, de guerre civile, c’est n’est pas la bonne façon de nous attirer les sympathies de la communauté internationale. On apparaît comme des extrémistes prêts à mettre le pays à feu à sang pour prendre le pouvoir alors que les vrais démocrates, c’est nous », peste de son côté un haut-cadre de l’Union nationale, aujourd’hui présidée par Paulette Missambo.

« De tels propos sont au mieux maladroits, au pire suicidaires », déclare quant à lui, très remonté, un lieutenant du président du RPM, Alexandre Barro Chambrier, qui rêve d’occuper en 2023 le rôle joué par Ping en 2016. « C’est pour l’opposition un coup de poignard dans le dos. Comme si Jean Ping pratiquait la politique de la terre brûlée et nous disait : après moi le déluge ».

Le meilleur allié d’Ali Bongo Ondimba en 2023 ? 

« Si ce n’est pas un coup de poignard dans le dos, c’est au moins le baiser de la mort », concède le professeur en science politique. « A l’évidence, les outrances de Jean Ping qui a employé des mots très graves comme ‘coup d’Etat’ ou ‘guerre civile’ et semble vivre dans une réalité parallèle en évoquant des choses dont tout le monde sait qu’elles n’adviendront pas, desservent l’opposition. A l’inverse, elles renforcent un peu peu plus, à un an de la présidentielle, Ali Bongo Ondimba qui, en regard, apparaît plus calme et modéré face à un Jean Ping plus excité que jamais ».

De quoi en tout cas renforcer la conviction, de plus en plus répandue au sein de l’opposition, selon laquelle, Jean Ping, dont l’étoile a beaucoup pâli depuis son heure de gloire en 2016, serait, au final, le meilleur allié du président Ali Bongo Ondimba en vue du scrutin de 2023 (lire notre analyse).

C’est peut-être d’ailleurs la raison pour laquelle dans les rangs de la majorité les propos de Jean Ping n’ont pas déclenché le tollé qu’elles auraient provoqué il y a quelques années…