[Analyse] Gabon : Et si Jean Ping était le meilleur allié d’Ali Bongo Ondimba pour la présidentielle de 2023 ?

Jean Ping (à gauche) pourrait s'avérer être le meilleur allié d'Ali Bongo Ondimba (à droite) lors de la présidentielle de 2023 © DR

Dit autrement, Jean Ping chercherait-il, dans une sorte de stratégie de la terre brûlée, à faire perdre son camp. Certains, dans l’opposition, en sont convaincus. Un sentiment renforcé par la prise de parole pour le moins décalée et mal à propos ce samedi du patron de la CNR. Explications.

Après moi, le déluge ?

La semaine dernière, Ali Bongo Ondimba était à Bruxelles. Le chef de l’Etat assistait, aux côtés de ses pairs, au Sommet Europe-Afrique. L’occasion pour lui de soigner sa stature présidentielle. Long entretien avec Ursula von der Leyen, échange prolongé avec Tony Blair, nombreuses apartés avec des chefs d’Etats africains ; et surtout, cette longue accolade avec son ami, le président français Emmanuel Macron, qui en dit long sur la volonté de rapprochement entre Paris et Libreville après des années de brouille relative (lire notre article). Le numéro un gabonais a fait la démonstration qu’il n’était pas un chef d’Etat africain parmi d’autres, mais bel et bien un pilier de la scène diplomatique internationale (lire notre analyse).

Etrangement, c’est ce moment-là que Jean Ping, muré jusqu’à présent dans un assourdissant silence, a choisi pour sortir du bois. Pour critiquer l’attitude des Européens vis-à-vis d’Ali Bongo Ondimba ? Evoquer la crise de la Covid-19 ? Parler des préoccupations des Gabonais ? Rien de tout cela. Le candidat malheureux à l’élection présidentielle de 2016 a choisi de faire dans la politique politicienne et ressortir l’antienne de la vacance présidentielle.

« Depuis le spectacle affligeant et dévastateur d’Ali Bongo sur le perron de l’Élysée en décembre 2021, le peuple gabonais et la communauté internationale ne peuvent plus se retrancher derrière les supputations et prétendent ne rien savoir de l’état réel de la santé d’Ali Bongo. Ali Bongo n’est plus en capacité de gérer sa propre santé, et encore moins de gérer le pouvoir usurpé, au point de servir de marionnette à de nouveaux usurpateurs qui livrent le pays aux enchères », n’a-t-il pas craint de déclarer.

Décalage avec la réalité

Aurait-il voulu faire plus décalé, mal à propos, qu’il ne s’y serait pris autrement. Peut-on sérieusement imaginer, ne fût-ce qu’une seule seconde, que le président gabonais se serait rendu durant deux jours à ce Sommet s’il n’en avait pas les facultés ? Qu’il aurait suivi et participé aux débats sur l’environnement, la formation, etc., d’un bout à l’autre ? Fait un discours à la tribune ? Qu’il se serait entretenu avec les personnalités parmi les plus importantes de ce monde ? On imagine aisément combien, s’ils avaient entendu les paroles de Ping (il n’est pas interdit de rêver…), Macron, von der Leyen, Tony Blair, etc., auraient souri…

Le décalage entre les images de ce Sommet, qui rappelle celles de la COP 26 à Glasgow en novembre dernier, et les propos de Jean Ping est tel qu’aussitôt, des interrogations se sont levées sur les motivations réelles du patron de la CNR. Non du côté de la majorité où l’on n’écoute plus Jean Ping que d’une oreille distraite et distante, l’homme n’étant plus considéré comme une réelle menace. Mais du côté de l’opposition où le moins que l’on puisse dire est que la sortie de Jean Ping n’a pas eu l’heur de plaire.

Et pour cause, de tels propos – et les autres opposants le savent pertinemment – sont de nature à décrédibiliser l’opposition à un moment où celle-ci tente, avec la plus grande peine, de s’organiser en vue de l’élection présidentielle de 2023. « S’il avait réellement voulu attaquer Ali Bongo, il y avait eu bien d’autres sujets pour le faire. Mais en choisissant de ressortir du chapeau le sujet de la vacance présidentielle, on donne l’impression d’être en déphasage avec la réalité. Que valent ces mots face aux images du Sommet de Bruxelles ? », fait mine de s’interroger un responsable de l’Union nationale, le parti de Paulette Missambo.

Même son de cloche du côté du RPM, le parti d’Alexandre Barro Chambrier. « Avec cette sortie de Jean Ping, l’opposition donne à la majorité le bâton pour se faire battre. C’est du pain béni pour elle. Car plutôt que de parler des préoccupations au quotidien des Gabonais, de la crise de la Covid qui les frappent directement, on parle encore et toujours de politique politicienne, du président, etc. A ce compte là, 2023 pourrait être pour nous une Berezina », déplore ce haut-cadre du Rassemblement pour la modernité.

Epine dans le pied de l’opposition

D’autant que dans son discours de samedi, Ping a lancé un appel « aux institutions habilitées par la Constitution, de déclarer la vacance du pouvoir ». Appel qui ressemble étrangement à celui lancé en décembre 2018, quelques semaines après l’AVC subi par le président, et demeuré sans effet, soulignant ainsi le décalage (un de plus) entre la force du verbe de Jean Ping et la faiblesse de ses actions.

Mais il y a autre chose. Si les réactions du côté de l’opposition sont (en privé, car rares sont ceux à l’assumer publiquement) aussi négatives, c’est que chacun espéraient que Jean Ping prenne « enfin » sa retraite politique. Celui qui aura 82 ans en 2023 n’est plus considéré comme un atout pour l’opposition qui cherche à se réinventer et se réorganiser mais comme un handicap. « Jean Ping fait penser à ces boxeurs, trop vieux pour combattre, mais qui ne veulent pas raccrocher les gants, qui enchainent les défaites et empêchent une nouvelle génération d’émerger », peste un membre du collectif Appel à agir pour qui Jean Ping est « un homme du passé ». « A l’évidence, il appartient à l’époque d’Omar Bongo. Quand on à dit ça, on a tout dit. »

« Pour lui, le compteur s’est arrêté en 2016. Depuis, c’est comme rien ne s’était passé », constate un lieutenant de Guy Nzouba-Ndama, le président des Démocrates, qui « malgré tout » lui conserve son estime. « C’est comme s’il vivait désormais dans une réalité parallèle. Pour lui, il est bel et bien président », complète-t-il.

Poussé vers la retraite

« Pour l’opposition gabonaise, Jean Ping est une épine dans le pied », résume un professeur en science politique de l’UOB. « Alors qu’elle voudrait tourner la page et se réorganiser, Ping, en laissant planer le doute sur sa candidature lors de la présidentielle de 2023, l’empêche de le faire », explique l’universitaire qui souligne que « Jean Ping n’est plus aujourd’hui le leader naturel de l’opposition gabonaise mais plutôt une figure tutélaire, une sorte d’autorité morale. Il est âgé, l’essentiel de sa vie politique est derrière lui et sa stratégie ces dernières années s’est révélée plus qu’hasardeuse ». Comme le fait de boycotter les élections générales de 2018. Un choix malheureux que paye aujourd’hui au prix fort l’opposition.

Las, ceux qui espéraient que Jean Ping prennent sa retraite politique et lâche la bride de l’opposition pour lui permettre d’écrire une nouvelle page de son histoire en sont pour leurs frais. Sa sortie peut être analysée comme un signe envoyé à cette partie de l’échiquier politique. « Que vous le vouliez ou pas, il vous faudra encore compter sur moi », a-t-il signifié à ceux qui veulent l’enterrer. Sinon, il n’hésitera pas, comme il l’a fait ce samedi, à tenir des propos qui en réalité desservent l’opposition.

Papy fait de la résistance

Ceux qui le connaissent le disent, Ping est prêt à tout pour jouer les trublions durant la campagne de 2023. Quitte à pratiquer la politique de la terre brûlée et faire perdre son camp ? « Comme tout grand leader politique, Jean Ping a du mal à concevoir que le monde puisse tourner sans lui », sourit un ministre, ancien porte-parole du gouvernement qui cite, sourire en coin, les mots fallacieusement attribués à Voltaire, devenus une véritable maxime politique : « Mon Dieu, gardez-moi de mes amis ! Quant à mes ennemis, je m’en charge ! »

En 2023, il faudra sans doute compter avec Jean Ping. Au grand dam du reste de l’opposition et non sans une pointe de satisfaction du côté de la majorité. A n’en pas douter, Papy fait de la résistance.