Fact checking : Pourquoi l’analyse de Geoffroy Foumboula sur les milliards collectés au Gabon dans le cadre de la riposte au Covid-19 est totalement erronée

Des militaires gabonais réceptionnant du matériel destiné à la riposte contre le Covid-19 le 30 mars 2020 à l'aéroport Léon Mba de Libreville © DR

Ces derniers jours, un tableau circule abondement sur les réseaux sociaux. Son auteur, l’activiste Geoffroy Foumboula prétend y recenser les contributions collectées par le Gabon à l’occasion de la crise du Covid-19. On y apprend notamment que depuis la mi-mars et jusqu’au 17 juin, le pays aurait collecté 419 milliards de francs CFA répartis entre les contributions publiques (250 milliards), les emprunts (162,2 milliards) et les dons (6,8 milliards). Problème : certaines de ses données sont erronées et l’analyse qui en découle complètement faussée.

C’est une analyse qui circule sur les réseaux sociaux parmi les activistes acquis à l’opposition radicale. De leur point de vue, les leçons à en tirer sont séduisantes. Pour résumer, le Gabon aurait levé beaucoup d’argent lors de cette crise du Covid-19 et on ne saurait pas où celui-ci serait passé. La thèse, aussi implicite que complotiste, est on-ne-peut-plus claire : elle vise à porter, sans le dire, des accusations de détournement de fonds à l’encontre des autorités.

A en croire son auteur, en effet, depuis de début de la crise sanitaire mi-mars et jusqu’à la date du 17 juin, le pays aurait collecté 419 milliards de francs CFA répartis entre les contributions publiques (250 milliards), les emprunts (162,2 milliards) et les dons (6,8 milliards). En regard, il n’aurait valablement dépensé qu’une toute petite fraction de cette somme mirobolante. Selon lui, « 253 958 demeure(raie)nt inexploités ».

Problème : cette analyse, partielle et partiale, est truffée d’approximations et d’erreurs. Les conclusions qui en sont tirées sont, du coup, complètement faussée. En voici quelques exemples.

  1. L’auteur confond dépenses effectives et provisions

C’est une erreur classique chez tous ceux qui maîtrisent mal les rudiments de l’économie. L’auteur comptabilise en particulier de façon mathématique dans les « contributions » servant à la lutte contre le Covid-19 les « mesures fiscales et économiques » à hauteur de 225 milliards. Un montant qui correspond au chiffrage avancé par le président de la République, Ali Bongo Ondimba, lors de l’annonce le 4 avril dernier de son plan d’aide massif aux entreprises et aux personnes. En réalité, comme l’ont indiqué les services de la Présidence, ce chiffre ne correspond pas à un montant d’argent effectivement levé, ni a fortiori à de l’argent qui aurait été dépensé, mais à une provision pour charges, autrement dit à une capacité maximale de financement par l’Etat gabonais en cas de worst case scenario.

C’est ce que rappelle un professeur d’économie de l’Université Paris-Dauphine en France. « Un parallèle peut être fait, de ce point de vue, avec la France. Quand le président Macron dit que 350 milliards d’euros seront consacrés au financement des entreprises dans le cadre du Prêt garanti par l’Etat, il ne s’agit pas réellement d’une dépense mais d’une provision, d’une capacité maximale de prise en charge. En clair, on prévoit une enveloppe qui pourra être consommé en tout ou partie. Sans compter qu’en l’espèce, il s’agit de prêt qui ont donc vocation à être remboursés par les entreprises bénéficiaires. L’Etat ne se substituera à elles qu’en cas de défaillance », explique l’universitaire.

Au final, laissez penser que 255 milliards ont été effectivement mobilisés mais qu’une fraction seulement de cette somme a été dépensée (sous-entendu, l’autre partie s’étant évaporée) est un procédé spécieux. Tout simplement un mensonge.

2. L’auteur se trompe également quant à l’emploi des fonds, c’est à dire leur destination

« Comment comprendre qu’avec plus de 419 milliards levés dont 162 par emprunts, les structures sanitaires de provinces ne disposent même pas de lits avec appareils d’assistance respiratoire, scanners, tests de dépistage, etc., le minimum pour prévenir ou contenir la crise ? », s’interroge l’auteur.

Passons sur le fait que le Gabon est considéré par les plus grandes institutions internationales (OMS, ONU, Institut Pasteur…) comme l’un des pays les plus efficaces en Afrique en matière de riposte sanitaire au Covid-19. Tout cela relève de l’attaque politique classique qui n’est pas dans le champ de notre analyse.

En revanche, quand l’auteur affirme que « plus de 419 milliards levés dont 162 par emprunts » et que cet argent devrait servir aux équipements médicaux, ici aussi, il se fourvoie lourdement. Tout d’abord, pour ne prendre qu’un seul exemple, le prêt du FMI sert à bien d’autres choses qu’à équiper les structures sanitaires du pays. Il a également vocation, par exemple, à appuyer budgétairement le pays en raison du ralentissement de l’économie mondiale qui engendre de moindres recettes pour les Etats. Ensuite, les dépenses de santé ne se limitent pas, comme le sous-entend de façon insidieuse l’auteur, aux seuls équipements. Elles englobent les frais de personnels, les médicaments, la logistique, etc. Toute chose que l’auteur se garde bien de prendre en compte faute de données à sa disposition.

Ainsi, si l’auteur prend un soin méticuleux à additionner les milliards levés, il ne fait pas montre du même zèle dès lors qu’il s’agit de comptabiliser les dépenses réellement effectués. Certes, sa démonstration aurait été moins spectaculaire mais beaucoup plus en phase avec la réalité.

3. Des « sources » sujettes à caution, de graves omissions et de multiples confusions

C’est d’ailleurs là l’un des principaux problèmes de cette « analyse ». L’auteur l’avoue lui-même : il a travaillé sur la base de sources, non pas officielles, non pas académiques, mais… journalistiques (« Ce ne sont que les données officielles relayées par les organes de presse », dit-il à nos confrères de Gabon Review, tout en se disant convaincu, sans en avoir la moindre preuve, qu’il y aurait des contributions secrètes et que, par conséquent, le « pactole » amassé serait bien plus important). En matière de rigueur et sérieux scientifiques, il faudra donc repasser.

Outre le fait que beaucoup des chiffres avancés sont des provisions (donc de l’argent susceptible d’être mobilisé et non ayant été effectivement mobilisé, la nuance est importante), que d’autres manquent à l’appel (comme les dépenses de prises en charge des patients, de personnels de santé, de médicaments, de logistique, etc.), certains autres chiffres sont à prendre avec des pincettes car ils ne sont que provisoires (en non à prendre, c’est le cas de le dire, pour argent comptant).

Le résultat est par conséquent sans appel. Le tableau récapitulatif de l' »analyse », contenu en page 5, est tout simplement erroné.

Au final, la conclusion à tirer de cette « analyse » coule de source. En additionnant des chiffres disparates les uns aux autres, comme des carottes au manioc, en confondant dépenses effectives et dépenses susceptibles (provisions), en omettant tout un pan de dépenses réellement effectuées, l’auteur, Geoffroy Foumboula, livre une « analyse » certes bonne à alimenter les réseaux sociaux et les sites d’information en ligne proches de l’opposition, mais trop médiocre pour être pris au sérieux dans les milieux autorisés.

Au-delà des chiffres, sans doute faut-il ici rappeler l’essentiel (hélas passé sous silence par l’auteur). A l’occasion de cette crise du Covid-19, le Gabon a été l’un des pays du continent les plus efficaces en matière de riposte sanitaire. Deux chiffres en attestent : le nombre de personnes testées depuis le déclenchement de l’épidémie et le nombre de décès liés au Covid-19. Ces données sont publiques. Nous laissons à l’auteur de l' »analyse » le soin de les collecter (ceux-ci sont très officiellement avérés) et de les analyser. En toute objectivité naturellement.