[Analyse] Pourquoi les choses se gâtent en France pour Brice Laccruche Alihanga, l’ex-directeur de la Présidence du Gabon

Les nuages s'accumulent sur la tête de l'ex-directeur de cabinet de la Présidence gabonaise, Brice Laccruche Alihanga © DR

Après avoir tenté de susciter un mouvement de sympathie en France, l’ex-directeur de cabinet de la Présidence gabonaise et ses avocats commencent à déchanter. Malgré leur activisme dans les milieux diplomatiques comme dans les médias, leurs efforts ne sont pas payés en retour. A cela, trois raisons essentielles. Explications.

Après les élections législatives, la donne politique devenue défavorable en France

Alors que les soutiens de Brice Laccruche Alihanga, en particulier ses avocats, ont tenté ces derniers mois de faire l’assaut de la « Macronie », ils ont vu dimanche 19 juin au soir leurs derniers espoirs douchés et leur plan tomber à l’eau. Pour Ensemble, le parti d’Emmanuel Macron, les résultats des élections législatives les 12 et 19 juin ont été catastrophiques. 245 députés macronistes seulement (en comptant les alliés) ont été élus. L’Assemblée nationale française ne comptant que 577 députés, le parti présidentiel ne possède plus qu’une majorité relative ténue (la plus faible pour un parti dont le président est au pouvoir sous la Vème République). C’est cent députés de moins qu’en 2017 lors des précédentes élections. « La Macronie, empêtrée dans une crise politique majeure, va se focaliser sur les problèmes de politique intérieure. Tous les dossiers annexes vont passer à la trappe. C’est le cas en particulier de certains dossiers diplomatiques. La France va se concentrer sur les grands sujets comme l’Ukraine, l’UE ou le climat, et éviter de se disperser avec des dossiers de second ou de troisième ordre qui, bien souvent, constituent des irritants inutiles pour nos partenaires », explique un diplomate en poste au Quai d’Orsay après dix années passées en partie en Afrique, puis en Asie.

L’adhésion du Gabon au Commonwealth réduit l’influence de Paris

Mais quand bien même aurait-elle souhaité faire pression sur Libreville, Paris n’en a plus tout à fait les moyens. En dix ans, la part des entreprises françaises dans les échanges avec le Gabon a littéralement fondu. Représentant encore 40 % des échanges avec le Gabon en 2010, cette part française dans les échanges commerciaux du Gabon est passée en 2021 sous les 17 %. Soit une perte de près de 60 % en dix ans. Pire, l’adhésion du Gabon au Commonwealth, l’organisation rivale de la Francophonie, sera rendue officielle lors du Sommet de Kigali qui débute dans quelques jours (le 24 juin). Pour la France, c’est un choc ; un bouleversement géopolitique. Elle voit l’une de ses ex-colonies échapper du giron dans lequel elle était parvenue bon an mal an à la maintenir depuis l’Indépendances via un inextricable mélange de politique, d’économie et d’influence médiatique. Las, l’adhésion au Commonwealth permet mécaniquement au Gabon de desserrer cet étau. « A Libreville, la voix de Paris ne sera plus aussi audible qu’avant », concède un diplomate en poste dans la capitale gabonaise. « Si elle ne veut pas perdre le reste d’influence qu’elle possède encore, la France devra ménager le Gabon et apprendre à composer et opérer le tri entre les dossiers », ajoute celui-ci. Dans ce contexte, la marge de manœuvre du Quai d’Orsay, déjà ténue dans le dossier BLA, est aujourd’hui réduite à la portion congrue. Quant à L’Elysée, siège de la Présidence française, elle ne veut tout simplement pas en attendre parler.

Le contenu du dossier d’instruction, chargé pour BLA, tempère les ardeurs  

Si beaucoup à Paris, et pas seulement à l’Elysée, ne veulent pas entendre parler du dossier BLA, c’est aussi – surtout ? – pour cette raison simple. Contrairement à ce que soutiennent ses avocats à travers l’orchestration récente d’une campagne médiatique peu subtile (lire notre article) et qui n’a au final produit aucun résultat, si ce n’est de braquer un peu plus Libreville (lire notre article), le dossier d’instruction de l’ex-directeur de cabinet n’est pas vide. Au contraire, il est particulièrement chargé. Une dizaine de chefs d’inculpation, des témoignages à charge et, surtout, quantité de preuves matérielles qu’il sera difficile, pour ne pas dire impossible, de contester. « Lorsque tout cela sera porté à la connaissance de l’opinion lors de la phase publique du procès, l’effet sera dévastateur pour l’accusé au premier chef, mais aussi pour tous ceux qui lui ont apporté son soutien. C’est la raison pour laquelle à Paris, plus personne, si tant est qu’il en ait la possibilité, ne veut se mouiller », explique un fin connaisseur des relations franco-gabonaises. « Prendre la défense d’un voleur, ça n’a jamais été porteur », confirme, un brin provocateur, un chef d’entreprise français basé au Gabon depuis 40 ans. « D’autant que personne ici, même s’il est d’un point de vue judiciaire présumé innocent, ne croit en la thèse selon laquelle Brice Laccruche Alihanga est innocent, qu’il n’a pas détourné de l’argent, qu’il ne s’est pas enrichi », ajoute-t-il. Une réalité avec laquelle les autorités françaises, souvent perçues en Afrique comme « donneuses de leçons », doivent également composer si elles ne veulent pas voir leur blason terni davantage.

Celui qui sans doute résume le mieux la situation est ce diplomate madré et à l’esprit vif, qui a fait l’essentiel de sa carrière en Afrique, joint par téléphone. « Dans le cas du dossier Laccruche Alihanga, les données de l’équation sont simples. D’une part, la France n’a plus les moyens d’agir. Ce qui est fait aujourd’hui à Paris sur le plan judiciaire ou médiatique en dehors des circuits officiels relève de la vaine agitation. D’autre part, quand bien même le voudrait-elle – agir -, ce serait pour elle totalement contreproductif ». On ne saurait mieux dire.