[Analyse] Gabon : Déconnection avec la réalité, irresponsabilité, faiblesse politique… ce que dit de l’opposition le communiqué de l’UN sur la journée « ville morte »

Paulette Missambo connait des débuts difficiles à la tête de l'Union nationale © DR

Suite à l’appel de quelques activistes de l’aile la plus radicale de l’opposition hier mercredi 15 décembre en faveur d’une journée ville morte pour protester contre une prétendue obligation vaccinale – appel qui a fait un flop complet -, l’Union nationale a cru bon publier un communiqué où l’opportunisme le dispute au cynisme. Sous son aspect anecdotique, celui-ci est riche d’enseignements sur l’état d’esprit et le positionnement d’un parti prêt à tout pour ravir à d’autres le leadership de l’opposition depuis la désignation le 13 décembre dernier de sa présidente, Paulette Missambo. Quitte à faire feu de tout bois et à… se brûler les doigts. Explications.

A l’instar de chaque jour que Dieu fait, hier a été une journée des plus ordinaires au Gabon. Comme la veille, l’avant-veille, etc., les mêmes bouchons se sont formés par endroits aux abords de la capitale et sur ses principales artères aux heures de pointe. Les arrêts de bus étaient bondés. Tout comme le parking du supermarché Géant Ckado. Les rues dans le PK6 étaient particulièrement animés à deux semaines de Noël. Dans les entreprises et les administrations ont s’est affairé comme à l’accoutumée (lire notre article).

Il a fallu attendre la tombée de la nuit pour assister à l’événement de la journée : la réouverture des boites, bars et restaurants de nuit. L’une des mesures annoncées par le ministre de la Santé le 27 octobre dernier et confirmée lors d’une conférence de presse gouvernementale lundi (lire notre article). A en juger par la fréquentation des établissements hier, à Libreville comme ailleurs dans le pays, la mesure a été plébiscitée par les Gabonais.

Une journée ville morte restée lettre morte

Quel contraste avec l’appel à la journée « ville morte » ! Lancé par une poignée d’activistes de l’aile la plus radicale de l’opposition, cet appel aurait dû pour ses promoteurs être l’événement du jour. Il n’en a, hélas pour eux, rien était. Malgré leurs efforts sur les réseaux sociaux et la complaisance de quelques journalistes-militants, cette journée a été un échec complet, bien qu’il fût prévisible.

C’est dans ce contexte que le secrétaire exécutif de l’Union nationale, Sosthème Nguema Nguema, a crû bon diffuser un communiqué auquel même les qualificatifs de « surréaliste » ou « lunaire » ne saurait rendre justice. « A la demande de la société civile et pour marquer son refus d’une obligation déguisée de se faire vacciner contre la Covid-19, le peuple gabonais (sic !) a observé une journée ville morte ce mercredi 15 décembre 2021. En dehors du centre-ville de Libreville et du Port d’Owendo où l’activité était plutôt minimale, tous les autres quartiers, toutes les principales autres villes de l’intérieur du pays ont massivement répondu à cet appel à rester chez soi », affirme le secrétaire exécutif de l’UN.

On l’a dit, cette peinture est à rebours complet de la réalité. Le grand Libreville (Libreville elle-même, Owendo et Akanda) a connu une activité normale. Quant aux villes de l’intérieur du pays dont parle M. Nguema Nguema, leurs habitants ont vaqué tout à fait normalement à leurs occupations. D’ailleurs, comment pouvait-il en être autrement comme le fait remarquer l’un de nos confrères. « Imagine-t-on sérieusement des villes comme Moanda, Lambaréné ou Mouila répondre à un mot d’ordre lancé par un groupuscule sur les réseaux sociaux ? Allons, tout cela n’est pas sérieux », balaye un correspondant du grand quotidien L’Union qui travaille en province.

Une réalité difficile à accepter et donc fantasmée

En réalité, le communiqué de l’Union nationale est révélateur d’une forme de déconnection avec la réalité qui frappe une large frange de l’opposition. Jean Ping, lui-même, ne vit-il pas depuis 2016 dans une forme de meta-réalité ? De réalité parallèle ? Lui qui se qualifie de président élu et qui, chaque année, de manière de plus en plus pathétique, fait un discours à la Nation dans un décor digne des années 1960 ? L’UN est semble-t-il victime du même mal. « Il y a une tendance au sein de l’opposition en générale a ne pas accepter la réalité. Du coup, il y a une tendance à la reconstruire telle qu’on voudrait qu’elle soit. On tombe alors dans le fantasme », fustigeait il y a quelques semaines Frédéric Massavala, le porte-parole de Jean Ping en 2016.

Un sens consommé de l’irresponsabilité

Le deuxième point frappant dans ce communiqué est l’irresponsabilité dont en craint pas de faire preuve l’UN. En pleine pandémie de Covid-19, alors que de nouveaux variants de plus en plus menaçants apparaissent, appeler les populations à ne pas se faire vacciner en diffusant des thèses vaccino-sceptiques relève tout simplement de l’irresponsabilité politique et morale. Partout dans le monde, les gouvernants qui sont en responsabilité soit impose la vaccination à leurs populations (c’est le cas de la Chine), soit les y incite fortement (aux Etats-Unis, en Grande-Bretagne…). Hier, dans une émission télévisée, le président français, Emmanuel Macron, a dit réfléchir à rendre la vaccination contre la Covid-19 obligatoire. Dans ce contexte, l’Union nationale ne trouve rien de mieux que d’envoyer un message contraire. Pour des raisons médicales ? Evidemment non, aucun membre de l’UN n’a les compétences pour en juger et contredire l’OMS. Bassement politicienne ? Oui. Il s’agit d’entraver l’action du gouvernement en pleine pandémie. Au final, c’est avec la santé et la vie des Gabonais que l’UN, avec un cynisme poussé à l’extrême, joue.

Ravir à Ping, Barro Chambrier ou d’autres le leadership au sein de l’opposition

Mais si l’UN est prêt à embrasser une cause qui partout ailleurs et l’apanage des complotistes et extrémistes de droite comme de gauche, ce n’est pas pour rallier à sa cause une majorité de Gabonais, comme elle tente de le faire accroire, mais dans l’espoir de supplanter, un mois après l’élection de sa présidente Paulette Missambo à la tête du parti, les autres leaders tels que Jean Ping ou Alexandre Barro Chambrier dans la perspective de la présidentielle de 2023. Pour se démarquer d’eux et se rendre audible, l’UN a besoin de les faire apparaître comme « mous ». Pour cela, l’UN, qui est en retard sur le plan de la notoriété par rapport à d’autres formations, est prête à épouser des causes extrêmes dans le but de faire parler d’elle – de faire le buzz pour reprendre un vocable médiatique en vogue.

Le cheval de Troie de la « société civile », révélateur d’une grande faiblesse politique 

Reste une dernière leçon. Ce communiqué est révélateur de l’état d’esprit de ce parti d’opposition. Sous ses atours fanfarons, il révèle la faiblesse fondamentale d’une formation moribonde, insignifiante dans la vie politique gabonaise et qui mise tout sur la communication. L’UN combien de division à l’Assemblée nationale ? Un seul député. Face à cette réalité, les réseaux sociaux et prises de parole déconnectée ne pourront rien y changer. D’ailleurs, se sachant incapable par ses propres forces de mener le combat politique, l’UN aujourd’hui, comme Jean Ping hier, utilise la technique du cheval de Troie : avancer sous le paravent de la société civile. Avec le succès que l’on sait.

Au final, le communiqué de l’Union nationale agit comme un puissant révélateur. Obnubilée par ses querelles internes de leadership qui la pousse à embrasser toutes les causes, fussent-elles les plus détestables, l’opposition, singulièrement l’UN, n’est clairement pas prête à diriger le pays. Ses femmes et ses hommes n’en ont n’y la stature, ni le programme, ni même l’éthique. L’UN peut être encore moins que les autres.