Action en justice contre Ali Bongo au Gabon : « Le président de la République ne peut en aucun cas être déféré devant les tribunaux ordinaires » (Nicaise Narcisse Ondo Nguema, docteur en droit et avocat)

Au Gabon comme ailleurs, le président de la République n'est pas un justiciable comme un autre © DR

Dans une tribune publiée ce jour dans le quotidien L’Union, le juriste revient sur l’action en justice déposée contre le chef de l’Etat gabonais.

C’est une affaire rocambolesque, surréaliste même pour les professionnels du droit, sur laquelle l’un d’eux porte une lumière experte.

Il y a quelques semaines, un collectif d’opposants a saisi la Cour d’appel pour demander une expertise médicale sur la personne du président. Or, cette juridiction, contrairement au tribunal saisi en première instance, s’est déclarée compétente pour se prononcer sur le fond. A tort, à l’évidence, explique Nicaise Narcisse Ondo Nguema, docteur en droit, enseignant-chercheur et avocat au barreau de Libreville.

« En raison de la nature de ses missions, la personne du chef de l’Etat est une personne spéciale. Ce n’est pas un citoyen ordinaire (…) En conséquence, il ne peut être déféré que devant des juridictions prévues par la Constitution : pour des faits liés à son état de santé (Article 13 de la Constitution et 94b de la Loi organique sur la Cour constitutionnelle) ; en cas de haute trahison et de violation du serment, la Haute Cour de Justice (article 78 de la Constitution », analyse le juriste. La Cour d’appel aurait donc dû, comme l’a fait le tribunal de première instance et lui a indiqué la Cour de cassation, se déclarer incompétente pour connaître d’une telle question.

Ce, d’autant qu’en l’espèce, les requérants, un collectif d’opposants, n’ont aucune qualité pour agir.

« En vertu de l’article 13 de la Constitution, seuls le gouvernement statuant à la majorité absolue de ses membres ou les bureaux des deux chambres du parlement statuant ensemble à la majorité de leurs membres peuvent mettre en cause la capacité du président de la République à exercer pleinement sa fonction », indique l’homme de droit.

Celui-ci pointe aussi le non respect de l’autorité de la chose jugée des décisions de la Cour de cassation. « Par ordonnance du 29 juillet 2019, celle-ci a ordonné le sursis à l’exécution de l’ordonnance de fixation du 19 juillet 2019 du premier président de la Cour d’appel de Libreville », rappelle-t-il. Une décision qui, bien qu’ayant « un caractère exécutoire et une force obligatoire à l’égard des parties », a été ignorée par la présidente de la Cour d’appel. Pourtant, le droit est très clair en l’espèce : « le juge d’appel ne pourra reprendre le procès qu’après que la Cour de cassation aura statué sur le fond du pourvoi en cassation », indique le juriste.

Conclusion : en vertu de l’application rigoureuse du droit, compte tenu du fait que le président de la République n’est pas un justiciable comme les autres et ne peut donc être déféré devant les tribunaux ordinaires, que les requérants n’ont en l’espèce aucune qualité pour agir et que les décisions de la Cour de cassation s’imposent aux juridictions inférieures, dont la Cour d’appel, cette dernière aurait dû se dessaisir du dossier.

En se déclarant compétente pour en connaitre, le premier président de la Cour d’Appel, Paulette Ayo Mba Akoli, a dès lors commis une faute grave qui l’expose à de lourdes sanctions. Quant au jugement qu’elle serait susceptible de prononcer en violation flagrante du droit, il serait tout bonnement frappé de nullité absolue (lire également à ce sujet cet article), mettant ainsi fin à ce qui a tous les atours d’une péripétie judiciaire.