Gabon : Pourquoi la tentative de la juge de la Cour d’appel de Libreville de traîner en justice le président Ali Bongo est vouée à l’échec

Le président Ali Bongo Ondimba le 17 juillet dernier lors d'un conseil des ministres. Depuis son retour définitif au Gabon fin mars suite à un probable AVC survenu en octobre 2018, le numéro un gabonais a repris son rythme de travail habituel © DR

Surprenante, la décision de la juge Paulette Ayo Mba Akoli de se déclarer compétente pour se prononcer sur la capacité du chef de l’Etat à exercer sa fonction est manifestement inconstitutionnelle et illégale. Raison pour laquelle sa démarche, pour le moins hasardeuse, ne pourra être menée à son terme. Explication.

Pour qui maîtrise quelques rudiments de droit, l’affaire ne laisse de surprendre tant par son objet, exceptionnel, que par sa valeur juridique, inconstitutionnelle.

Utile rappel des faits…

Il y a quelques mois, un groupuscule d’activistes gabonais se revendiquant de l’opposition radicale, saisit le Tribunal de Première Instance de Libreville d’une requête en référé tendant à obtenir du président du tribunal l’autorisation d’assigner le président de la République, Ali Bongo Ondimba, à comparaître devant lui aux fins de désignation d’un médecin spécialiste en neurologie. Le but de la démarche : établir l’état de santé du chef de l’Etat et, partant, se prononcer sur sa capacité à exercer sa fonction. L’action introduite porte donc sur les aptitudes cognitives du chef de l’Etat.

Par ordonnance en date du 2 mai dernier, le président de première instance du Tribunal de Libreville décide que la requête est irrecevable pour défaut de qualité à agir des requérants.

Ces derniers ne s’en laissent pas compter. Ils font fait appel le 8 mai de l’ordonnance du président du Tribunal devant la Cour d’appel Judiciaire de Libreville. Ils demandent au premier Président de la Cour d’appel d’annuler l’ordonnance du président du Tribunal et d’autoriser à faire assigner le président de la République devant sa juridiction. C’est alors que le premier président de la Cour d’appel a alors pris une ordonnance de fixation et comparution. Il ordonne au président de la République de se présenter devant la Cour d’appel judiciaire de Libreville.

Les avocats d’Ali Bongo Ondimba, après notification de l’ordonnance de fixation et comparution du premier président de la Cour d’appel, exerce un pourvoi en cassation contre cette ordonnance. Ils assortissent le pourvoi en cassation d’une demande de sursis à l’exécution de l’ordonnance de fixation et comparution.

La Cour de Cassation, par ordonnance du 26 juillet 2019, décide de la suspension de l’ordonnance de fixation et comparution du premier président de la Cour d’appel judiciaire de Libreville. Logiquement, par l’effet de cette ordonnance, la Cour d’appel de Libreville ne peut plus poursuivre la procédure.

Mais le 12 août, le premier président de la Cour d’Appel de Libreville, la juge Paulette Ayo Mba Akoli, décide de passer outre la décision de suspension de la Cour de cassation et de poursuivre la procédure engagée devant elle par les appelants. Elle renvoie les deux parties au 26 août pour se prononcer sur le fond de ce dossier.

Pourquoi la démarche du président de la Cour d’appel est illégale et inconstitutionnelle

Or dans cette affaire, il est fait entorse à deux grands principes du droit. Tout d’abord, les tribunaux de droit commun (tribunaux judiciaires, tribunaux administratifs, tribunaux financiers) sont-ils compétents pour juger le Président de la République? Plus précisément, les tribunaux judiciaires sont-ils habilités à se prononcer sur une action dirigée contre le Président de la République et concernant l’exercice de ses fonctions ?

A cette question, le Tribunal de première instance de Libreville et la Cour de cassation, sur le fondement de l’article 78 de la Constitution, répondent par la négative : ni le juge du Tribunal de première instance, ni le juge de la Cour d’appel, ni le juge de la Cour de cassation, n’est compétent pour juger le Président de la République dans l’exercice de ses fonctions. Ce, en vertu de l’article 78 de la Constitution, le Président de la République bénéficie d’un statut particulier qui le dispense d’être poursuivi devant les juridictions de droit commun. Il n’est justiciable que devant la Haute Cour de Justice et seulement dans les cas et selon les conditions prévus par l’article 78 de la Constitution. La démarche de la première présidente de la Cour d’appel enfreint un autre grand principe constitutionnel : la séparation des pouvoirs, notamment entre l’ordre judiciaire et l’exécutif. Enfin, il n’est pas inutile de rappeler l’article 81 du Code civil gabonais qui dispose que nul ne peut être contraint de s’expliquer sur sa santé.

Deuxième grand principe du droit foulé au pied en l’espèce, la hiérarchie des juridictions. En effet, quelle est l’autorité des décisions de la Cour de Cassation à l’égard des juridictions de l’ordre judiciaire de niveau inférieur ? Ici aussi, la réponse est très claire. Les décisions de la Cour de cassation ont une autorité absolue à l’égard de toutes les juridictions de l’ordre judiciaire (Cour d’appel et Tribunaux de première instance). Leur non respect constitue un excès de pouvoir, une cause de nullité des actes juridictionnels.

Il résulte ainsi de tout ce qui précède, qu’en l’état actuel de la procédure, le premier président de la Cour d’appel de Libreville ne peut, sans faire entorse à la Constitution qui sacralise le principe de séparation des pouvoirs et commettre un excès de pouvoir, autrement dit une faute grave commise dans l’exercice de la fonction juridictionnelle, poursuivre l’action engagée devant elle par les appelants. Dans le cas contraire, son auteur s’expose à des sanctions disciplinaires. C’est le sort qui attend probablement la juge Paulette Ayo Mba Akoli.

Pour ce professeur de droit à l’Université Omar Bongo de Libreville, la démarche de la magistrate ne pourra être menée à son terme. « Le droit répond à des règles précises dont on ne peut s’affranchir impunément (…) Au demeurant, imagine-t-on vraiment qu’une décision, sans conteste inconstitutionnelle car foulant au pied plusieurs principes, qui plus est allant à l’encontre du président de la République, si tant est qu’elle soit finalement prise, puisse être exécutée ? Allons, il faut raison garder. Même dans les rêves les plus fous, ce serait impossible », commente-t-il placidement.

Reste alors une question : Pourquoi, diable, la juge Paulette Ayo Mba Akoli s’est-elle lancée dans une telle démarche ? Quelles sont ses véritables motivations, sachant qu’une juge aussi expérimentée ne peut méconnaître en conscience les principes fondamentaux de droit qu’elle a, en l’espèce, choisi d’ignorer ? C’est ce que nous vous expliquerons dans le cadre d’un second article.