Présidentielle 2023 au Gabon : « Changer les règles du jeu ne sera pas suffisant pour permettre à l’opposition de l’emporter » (Universitaire)

Ali Bongo Ondimba votant lors du second tour de l'élection présidentielle au Gabon le 27 août 2016 © DR

En prévision des élections générales de l’an prochain, l’opposition gabonaise multiplie les initiatives afin d’obtenir une profonde réforme du système électoral. Mais changer les règles du jeu ne sera sans doute pas suffisant pour lui permettre de l’emporter, avertit un professeur en science politique de l’UOB. Interview. 

La Libreville : Depuis quelques semaines, l’opposition gabonaise s’active pour tenter d’obtenir une réforme du système électoral. En témoigne le dépôt fin juin d’un mémorandum aux juges de la Cour constitutionnelle. Pourquoi un tel activisme ?

Universitaire : On peut y voir à la fois de la combattivité mais aussi de la fébrilité. La loi gabonaise interdit une réforme électorale durant une année électorale, ce qui sera le cas en 2023. Il ne reste donc plus que six mois donc pour tenter d’en obtenir une, l’année suivante étant marquée par l’organisation de trois scrutins : la présidentielle, les législatives et les locales. Mais la tâche parait impossible. L’opposition n’est pas en position de force sur le plan politique. Elle est en train de payer sa campagne ratée de 2018. Une partie d’entre elle, fidèle à Jean Ping, a boycotté le scrutin. L’autre partie, composée des Démocrates de Guy Nzouba-Ndama, du RPM (ex-RHM) d’Alexandre Barro Chambrier, ou encore de l’Union nationale désormais dirigée par Paulette Missambo, a fait des scores anecdotiques. Résultat : à l’Assemblée nationale, l’opposition est sous-représentée puisque le PDG et ses alliés ont remporté plus de 120 sièges sur 143. Or, ce genre de réforme, importante, ne se négocie pas en dehors du Parlement mais en son sein. Dans le cadre d’un travail sérieux et rigoureux en commission avec des élus qui possèdent une légitimité pour ce faire. En l’espèce, ce n’est pas le cas.

LLB : C’est à dire ?

U : Quels que soient ses défauts, la démocratie gabonaise repose sur l’élection. C’est du suffrage électoral que provient la légitimité en démocratie. Sinon, c’est l’anarchie. N’importe quel groupe ou groupuscule, ayant une revendication, parce qu’il s’appuie sur les réseaux sociaux ou certains médias, miroirs déformants de la réalité, n’est pas en lui-même légitime pour porter une réforme électorale. Il faut être représentatif. Et pour l’être, il faut être élu. L’opposition, ou une partie d’entre elle, peut se mordre les doigts, mais c’est en 2018 que l’erreur a été commise. Aujourd’hui, elle n’a aucun pouvoir aujourd’hui pour changer les choses. Et ça n’est pas avec des « coups de com » qu’elle y parviendra.

LLB : Est-ce une bonne stratégie pour l’opposition de se focaliser sur les aspects institutionnels à un an d’échéances électorales majeures ?

U : Cela donne une impression d’impréparation. Comme si l’on faisait les choses à la-va-vite, à la dernière minute. Penser qu’une telle réforme, particulièrement lourde, puisse passée en moins de six mois est totalement illusoire. L’opposition le sait d’ailleurs certainement. C’est pour cela que, de mon point de vue, tout ce qui se passe aujourd’hui relève davantage d’une opération médiatique qui sert potentiellement à justifier une future défaite, voire une débâcle électorale.

LLB : L’opposition pourrait-elle justement éviter une défaite, voire une débâcle électorale ?

U : L’opposition gabonaise est dans une situation très compliquée. D’abord, elle est sans véritable leader car nombreux sont ceux à vouloir ravir à Jean Ping le statut de chef de l’opposition que celui-ci n’est plus en mesure d’incarner compte tenu de son âge et de ses errements stratégiques. Ensuite, l’opposition gabonaise est atomisée en différentes chapelles aux intérêts contradictoires. Par surcroît, la dynamique politique n’est pas en sa faveur. Ces deux dernières années, d’importantes personnalités de l’opposition ont rejoint, souvent avec éclat, le camp du président Ali Bongo Ondimba à l’instar de Jean Eyeghe Ndong, Frédéric Massavala, Féfé Onanga, René Ndemezo’o Obiang, Jean-Norbert Diramba, Jean-Pierre Doukaga Kassa ou plus récemment Charles Mba. Enfin, et peut-être surtout, si l’opposition gabonaise n’incarne pas une alternative crédible à la majorité actuelle, c’est parce qu’elle est sans véritable projet. Elle n’a pas de programme digne de ce nom auquel les Gabonais peuvent se reporter et qui concerne leur vie quotidienne. Comme l’a récemment fait observer le porte-parole du gouvernement (Alain-Claude Bilie-By-Nze, NDLR), le projet de l’opposition se résume aujourd’hui, pour l’essentiel, à se préoccuper de l’état de santé du président de la République. Il en faudrait bien plus pour espérer devenir majoritaire dans les urnes. On comprend mieux, dès lors, mieux pourquoi changer les règles du jeu en matière électorale ne sera pas suffisant pour permettre à l’opposition de l’emporter.