Pourquoi les propos d’Emmanuel Macron sur son déplacement au Gabon sont un camouflet pour l’opposition

Le président français Emmanuel Macron lors de sa conférence de presse sur la politique africaine de la France lundi 27 février 2023 © DR

« Je ne viens pas faire un déplacement électoraliste », a déclaré le président français au sujet de sa venue cette semaine au Gabon pour participer au One Forest Summit lors d’une conférence de presse sur la politique diplomatique et militaire française en Afrique lundi 27 février. « Et d’ailleurs, on parle à tout le monde, y compris aux opposants, et on continuera de le faire », a-t-il ajouté. Depuis, le microcosme politico-médiatique gabonais tente de faire l’exégèse de ces propos. Comment les comprendre ? Nous avons posé la question à un professeur en science politique de l’UOB. Interview rapide mais éclairante. 

La LBV : « Je ne viens pas faire un déplacement électoraliste. Et d’ailleurs, on parle à tout le monde, y compris aux opposants, et on continuera de le faire. » Comment comprendre ces propos du président français Emmanuel Macron ? 

Universitaire : « Chacun, majorité et opposition, tente de tirer la couverture à soi en disant que ces propos lui sont favorables. Mais pour subtiles qu’ils sont, ces propos, qui ont donné lieu à des interprétations divergentes, n’en sont pas moins limpides. Quand le président français dit qu’il ne vient pas au Gabon pour y faire un ‘déplacement électoraliste’, c’est précisément ce qu’attendent les autorités gabonaises : que l’on respecte la souveraineté du Gabon et qu’il n’y ait pas d’ingérence extérieure, de la part de qui que ce soit, dans ses affaires intérieures, a fortiori politiques. Rappelez-vous que c’est l’opposition qui, sous prétexte d’une proposition de rencontre avec M. Macron, tente de l’attraire dans le jeu politique et électoral gabonais. En balayant d’un revers de main lors de sa conférence de presse cette hypothèse, le président français a de fait infligé un camouflet à l’opposition gabonaise. »

La LBV : Mais tout de même, le président français a ajouté cette phrase : « Et d’ailleurs, on parle à tout le monde, y compris aux opposants, et on continuera de le faire »… 

Universitaire : « Ici aussi, il faut bien écouter ce que dit le président français. Les mots sont choisis. Le président français ne dit pas ‘je parle à tout le monde », mais ‘on parle à tout le monde’. C’est un moyen habile de contenter tout le monde car ce ‘on’ englobe l’ensemble des autorités françaises : ministres, secrétaires d’Etat, députés, ambassadeurs, diplomates… Reste que lui, en tant que président, son principal interlocuteur, pour ne pas dire son interlocuteur exclusif sur le Gabon, c’est son homologue. Et cet homologue, c’est Ali Bongo Ondimba. Or chacun sait qu’en matière diplomatique, a fortiori entre la France et l’Afrique, les choses sérieuses, c’est au niveau des chefs d’Etat que tout se joue. »

La LBV : Tout de même, on a l’impression que le président français est dans une position d’équilibriste, qu’il fait du « en même temps » pour reprendre son expression favorite…

Universitaire : (sourire…) « Oui, vous avez raison. La France, c’est une de ses faiblesses, est une démocratie d’opinion. Ses dirigeants tiennent compte, plus qu’ailleurs, de ce qui se dit sur les réseaux sociaux et dans les médias, médias qui en France sont très majoritairement dominés par la gauche avec, s’agissant de l’Afrique, des relents idéologiques tiers-mondistes. Quelques paroles prononcées à leur attention, ‘ça fait plaisir’ et ça coûte pas cher’, pour paraphraser un ancien président français (Nicolas Sarkozy, NDLR). Mais dans les faits, les dirigeants français doivent faire avec la réalité. Et la réalité aujourd’hui, c’est que la France est en perte d’influence en Afrique pour quantité de raisons (…) Elle a besoin de partenaires. Et ses partenaires potentiels, sur lesquels elle peut réellement compter, se réduisent à peau de chagrin. Or, le Gabon, malgré toutes les vicissitudes, en fait partie. »

La LBV : Dans quels domaines en particulier ? 

Universitaire : « Si l’on prend le dossier de l’environnement, cher à Paris, de la sécurité, le dossier migratoire ou même des mines, le Gabon est l’un des très rares pays en Afrique à cocher toutes les cases. Le Gabon est en première ligne sur le dossier climatique, il siège actuellement au Conseil de sécurité de l’ONU, il n’est pas un pays qui pose problème à la France sur le plan migratoire et sa principale mine de manganèse, un minerai stratégique pour la transition énergétique comme l’électrification de l’économie, est exploitée par le groupe français Eramet (…) Et dans le même temps, le Gabon a de moins en moins besoin de la France. Contrairement à hier, le pays n’est plus installé dans un tête à tête avec l’Hexagone. Son principal partenaire commercial est la Chine. La plus grande entreprise installée dans le pays, c’est le Singapourien Olam. Et, cerise sur le gâteau, le Gabon, hier enfant exclusif de la Francophonie, est désormais membre du Commonwealth (…) Pour toutes ces raisons, comme l’a dit récemment, à juste titre, un député français, membre du groupe d’amitié France-Gabon, ‘la France ne peut plus se payer le luxe d’une brouille avec le Gabon’. Le président Emmanuel Macron l’a bien compris. C’est tout le sens de sa présence cette semaine à Libreville. »