Pourquoi, en déplacement au Gabon, Emmanuel Macron ne rencontrera pas l’opposition

Sans surprise, Emmanuel Macron ne rencontrera pas l'opposition gabonaise © DR

Alors qu’elle en rêvait, elle est contrainte de déchanter. Malgré son insistance, l’opposition gabonaise ne rencontrera pas le président français Emmanuel Macron, présent les 1er et 2 mars prochain à Libreville, la capitale gabonaise, pour assister au One Forest Summit. En voici les (nombreuses) raisons.

Pour couper court aux rumeurs, véritables sport national au Gabon, mais aussi aux fantasmes, les conseillers Afrique et technique aux Affaires globales de la Présidence française, Franck Paris et Josué Serres, ont levé tout suspense vendredi 24 février lors d’une conférence de presse téléphonique. « Il n’est pas prévu que le président rencontre l’opposition », ont-ils affirmé de manière aussi cursive qu’expéditive.

Il est vrai que, du côté de l’Elysée, le sujet agace alors que Paris se veut l’un des champions de la protection du climat. « Ce One Forest Summit est consacré aux forêts et à leur rôle dans la protection du climat (…) Ce sommet est tout sauf un sommet centré sur la politique intérieure gabonaise », insiste-t-on.

Requête décalée et surannée

Pour cette autre source, nullement surprise, la requête avait quelque chose à la fois de décalée et surannée. « Il n’y a nulle part ailleurs dans le monde où l’on exige du président français qu’il rencontre l’opposition », justifie-t-elle. « Imagine-t-on le président Ali Bongo Ondimba rencontrer Jean-Luc Mélenchon ou Marine Le Pen à l’occasion d’un voyage officiel ? Ce serait absurde ! », s’exclame-t-elle.

Un point de vue auquel souscrit ce ministre, ancien soutien de l’opposant Jean Ping en 2016. « L’opposition ici au Gabon se veut moderne, avant-gardiste. Mais il y a quelque chose de profondément passéiste à vouloir rechercher à tout prix le contact avec un dirigeant français pour des motifs politiques. Comme si la vie politique au Gabon continuait à être décidée depuis Paris alors que nous sommes indépendant depuis plus de 60 ans ! », fait mine de s’étonner ce membre du gouvernement. « L’opposition gabonaise est aujourd’hui tellement divisée qu’il faudrait convoquer au moins cent personnes dans la salle ! », lâche-t-il dans un éclat de rire sardonique.

« Paris ne peut plus s’offrir le luxe d’une brouille avec le Gabon », constate un député français

Pour ce géopolitologue, spécialiste du continent africain, le refus d’Emmanuel Macron de rencontrer l’opposition gabonaise est justifié sur le plan de la Realpolitik. « Paris en perte de vitesse accélérée sur le continent africain. Elle perd pied en particulier en Afrique de l’Ouest où ses positions tendent à s’éroder. Reste l’Afrique centrale, une zone qu’elle a négligée ces dix, vingt dernières années. Mais dans cette zone aujourd’hui, la Chine est très présente, la Russie, la Turquie, etc. Il y a beaucoup de concurrence et pour s’imposer, il faut séduire », explique l’expert.

« Dans ce contexte, le cas du Gabon est particulier et sensible », poursuit celui-ci. « Le pays est monté en puissance sur la scène internationale grâce au dossier du climat sur lequel il est en première ligne. Il siège en ce moment au Conseil de sécurité de l’ONU. Il est en passe de devenir stratégique en raison de ses mines. Eramet, le seul groupe minier français, est bien placé pour le savoir qui exploite la mine de manganèse de Moanda (dans le sud-est du Gabon, NDLR), l’une des principales au monde. Et, pour couronner le tout, le Gabon est, depuis 2022, membre du Commonwealth, la grande organisation rivale de la Francophonie », explique le géopolitologue. « Pour le dire sans détour », résume un député français, membre du groupe d’amitié France-Gabon, « Paris ne peut plus s’offrir le luxe d’une brouille avec le Gabon. » 

Eviter de créer artificiellement des tensions

A cela, il faut, selon ce géopolitologue, ajouter le fait que « le Gabon n’est pas générateur d’externalités négatives du point de vue de Paris », ce qui est loin d’être le cas d’autres pays en Afrique. « Le Gabon est très stable sur un plan sécuritaire. Il n’y a pas de problème de terrorisme comme en Afrique de l’Ouest mais aussi, de plus en plus, en Afrique centrale comme au Tchad, au Cameroun, en RCA ou en RDC. « Par ailleurs », complète-t-il, « il n’y a aucun contentieux sur le plan migratoire entre Paris et Libreville contrairement à tout ce qui se passe avec le Mali, la Côte d’Ivoire, les pays du Maghreb, etc. Dans ces conditions, créer artificiellement des tensions n’aurait aucun sens d’un point de vue géostratégique. Ce serait totalement abscons. »

Pour toutes ces raisons, le président français n’a pas jugé bon de rencontrer l’opposition gabonaise. Celle-ci pourrait devoir se contenter, en guise de maigre lot de consolation, d’hypothétiques rencontres avec des secrétaires d’Etat ou des parlementaires. Pas de quoi toutefois ébranler Libreville. « Sur la photo, ça fait joli. Mais dans les faits, ça ne change absolument », raille un ministre et ancien opposant, qui n’est guère tendre avec ses anciens amis.