Nouvel acte d’hostilité envers une représentation diplomatique africaine en France : l’Ambassade du Gabon à Paris brièvement occupée hier par des activistes

Le 1er juin 2018, douze activistes, dix Gabonais et deux Français, membre de l'opposition radicale soutenant Jean Ping, se sont introduits au sein de l'Ambassade du Gabon à Paris. © DR – Twitter

Ce vendredi 1er juin peu après 15 heures, douze personnes se sont introduites de force dans l’enceinte de l’Ambassade du Gabon à Paris, commettant des dégradations et proférant des menaces contre l’Ambassadeur gabonais. Se réclamant de l’opposant Jean Ping, elles se sont dispersées avant l’arrivée des forces de l’ordre françaises appeler à la rescousse. Cet épisode, qui suscite l’incompréhension et l’exaspération au Gabon, en rappelle d’autres qui se sont déroulés dans la capitale française.

L’opération a duré une quinzaine de minutes. Elle s’est déroulée au 26 bis Avenue Raphaël dans le 16ème arrondissement de Paris. Sur des vidéos amateurs rapidement diffusées sur les réseaux sociaux – l’objectif étant de faire le buzz -, on voit les membres de ce groupuscule – douze Gabonais et deux Français, tous identifiés – remplacer la photo officielle du président gabonais Ali Bongo par celle de Jean Ping, l’opposant, leader de la Coalition pour la Nouvelle République. Mais selon plusieurs sources concordantes, d’autres dégradations ont été commises et des menaces ont même été proférées à l’encontre de l’Ambassadeur du Gabon en France, Flavien Enongoué.

Quelques heures après cet incident, l’Ambassade gabonaise à Paris a réagi par voie de communiqué en annonçant « à titre exceptionnel » le renforcement des conditions d’accès à la chancellerie. Dans la foulée, le ministre des Affaires étrangères, Régis Immonguault Tantangani, de s’est lui aussi fendu d’un communiqué, condamnant « très fermement » ce qu’il qualifie d’« actes ignominieux et délictueux ».

Compenser par un surcroît de visibilité médiatique un net recul sur le terrain politique

Au vu des réactions sur les réseaux sociaux, il n’est pas sûr que cette action qui se voulait spectaculaire est remplie son office. « On ne lutte pas pour la démocratie avec les armes de la violence », écrit une Gabonaise sur son compte Facebook. « Je suis favorable à l’opposition. Mais je ne peux cautionner de tels actes », poursuit-elle. Sur Twitter, un étudiant gabonais, qui se dit également partisan de l’opposition, pense que ce type d’opération est « contre-productif. Ça dessert la cause de l’opposition qui apparaît violente et vindicative », souffle-t-il.

Cet incident intervient alors que Jean Ping est dans une mauvaise passe politique au Gabon. L’union de l’opposition qu’il était parvenu à faire sur son nom en 2016 à l’occasion de l’élection présidentielle n’est plus qu’un vague souvenir. Plusieurs opposants ont rejoint depuis le gouvernement dirigé par Emmanuel Issoze Ngondet et la très grande majorité des partis membres de la Coalition pour la Nouvelle République qu’il dirige participeront aux prochaines élections législatives, un scrutin que Jean Ping aurait souhaité voir largement boycotter. « L’opposition radicale perd du terrain sur le plan politique. Elle essaie donc de compenser par un surcroît de visibilité médiatique. D’où cette opération coup de poing », fait observer un universitaire gabonais.

Incompréhension et exaspération

En outre, explique un politologue de renom à Paris, spécialiste du continent africain, « cet événement intervient quelques jours après les déclarations du président français, Emmanuel Macron, qui, recevant coup sur coup Paul Kagamé et Joao Lourenço, les chefs d’Etat rwandais et angolais, a indiqué – en tous les cas, c’est comme cela que ça a été interprété – que les problèmes en Afrique devaient être réglés en Afrique, et pas à l’extérieur. Donc pour les opposants, c’est un peu aide-toi, et le ciel t’aidera. Et s’ils veulent du soutien, il faut les chercher auprès de ses voisins ou sur le continent », analyse-t-il avant de conclure : « c’est peut être un hasard de calendrier mais l’intrusion de ces activistes dans l’Ambassade du Gabon en France, qui intervient quelques jours seulement après ces déclarations, peuvent être également analysées comme un signe de protestation à l’égard des autorités françaises auprès desquelles elles ont vainement tenté de chercher du soutien sans l’obtenir car la doctrine de la France a changé par rapport aux époques précédentes où l’Hexagone a été très critiqué pour son interventionnisme particulièrement zélé en Afrique subsaharienne francophone ».

Pour intelligible qu’elle soit sur le plan de la stratégie politico-médiatique, l’intrusion de ces activistes dans l’Ambassade gabonaise à Paris n’en suscitent pas moins l’incompréhension et l’exaspération au Gabon. Tout d’abord, parce qu’il ne s’agit pas – loin s’en faut – d’un précédent isolé (manifestations hostiles en face de son hôtel lors de la venue d’Ali Bongo à Paris en décembre 2017, qui avait pourtant officiellement été invité par le Président français Emmanuel Macron ; démonstrations hebdomadaires et non autorisées Place du Trocadéro à Paris avec des slogans hostiles envers les autorités gabonaises…). Même les opposants n’appartenant pas à la frange radicale sont pris à parti. A chaque fois, les autorités gabonaises ont porté plainte devant les tribunaux français mais aucune suite n’a été donnée à ce jour, comme l’indique le communiqué du ministre des Affaires étrangères qui espère pouvoir compter cette fois-ci sur la « franche collaboration » des autorités françaises.

Sentiment d’impunité

Reste que ce type d’événement ne vise pas spécifiquement le Gabon. A Paris, les actes hostiles envers les représentations des pays africains ou à l’encontre de ceux qui sont « suspectés » de sympathie à leur endroit se sont multipliés ces dernières années : violences envers l’Ambassade du Congo-Brazzaville, annulation de concerts de deux stars de la chanson RD congolaise (Fally Ipupa et Héritier Watanabe) en 2017 sous la pression des « combattants », manifestations de rue ou occupation illégales du domaine publique, etc.

« Il y a un sentiment d’impunité peut être dû à une sorte de laxisme ici », confie un Gabonais qui vit en banlieue parisienne. « Les gens se croient autoriser à faire n’importe quoi parce qu’il n’y a jamais de sanction. Il confonde Etat de droit et liberté de faire tout et n’importe quoi », analyse-t-il.  Une chose est sûre : la réaction des autorités françaises n’a manifestement pas été à ce jour à la hauteur, encourageant de fait la commission de tels actes. Par négligence ou manque de volonté ? La question reste ouverte.