Depuis son déclenchement samedi 18 septembre au poste frontière de Kabala entre le Gabon et le Congo-Brazzaville, l’affaire Guy Nzouba-Ndama, du nom de l’ex-président de l’Assemblée nationale dans les valises duquel ont été retrouvés 1,19 milliard de Fcfa en petites coupures, les réactions ont été nombreuses. Parmi celles-ci, celles de l’opposition gabonaise et des organisations dites de la société civile qui leur sont proches sont particulièrement intéressantes à analyser. Interview rapide et éclairante d’un professeur en science politique de l’UOB (re)connu pour la qualité de ses travaux universitaires et sa fin finesse d’analyse.
L’affaire du « milliard de Nzouba-Ndama », comme elle est communément appelée, vous-a-t-elle surprise ?
Le fait qu’un opposant de premier plan comme M. Nzouba-Ndama, pour lequel on peut avoir du respect par ailleurs, se rende au Congo-Brazzaville et en revienne avec trois valises contenant 1,19 milliard de francs CFA peut être choquant pour une bonne partie de l’opinion. Mais ce n’est en rien surprenant. Depuis Omar Bongo Ondimba, à la veille d’échéances électorales majeures, comme c’est le cas avec la présidentielle qui aura lieu en 2023, les opposants gabonais – certains d’entre eux en tout cas – ont pris l’habitude d’aller chercher des financements du côté de Brazzaville ou, pour être plus précis, d’Oyo.
Tout de même circuler sans plus de précaution que cela avec 1,19 milliard de francs CFA à bord de son pick-up, ça ne vous surprend pas ?
Pour un quidam, monsieur tout le monde, je conçois que ça peut paraître surprenant, voire surréaliste. Mais pour les gens de pouvoir, c’était, jusqu’il y a une semaine en tout cas, quelque chose de normal. En tout cas de non risqué. Il faut savoir que ce genre de situation s’est probablement produit des centaines de fois au cours des deux dernières décennies. Et il n’y a jamais eu de difficulté. D’une part, parce que les contrôles à cette frontière ne sont pas systématiques. D’ature part, parce que même en cas de contrôle effectif, l’affaire se règle souvent en quelques minutes moyennant quelques dizaines ou centaines de milliers de francs CFA en fonction de la valeur de la marchandise transportée ou du montant de la somme en espèces. En clair, les douaniers, moyennant finance, ferment les yeux. Mais ceux ce samedi 18 septembre à Kabala, les choses ne se sont pas passées ainsi…
La mésaventure de M. Nzouba-Ndama rebat-elle les cartes pour la présidentielle de 2023 ?
C’est difficile à dire dans quelle mesure exactement à ce stade. Ce que l’on peut observer, c’est que certains opposants, candidats déclarés ou présumés à cette élection présidentielle, ne sont, en privé, pas mécontents car un sérieux prétendant au statut de candidat principal de l’opposition est écarté. Ce qui réduit la concurrence. Pour autant, c’est un calcul de court terme. Cette affaire brouille l’image de l’opposition, elle qui prône la transparence, la vertu et la probité par rapport au pouvoir en place qui, lui, est supposé faire l’inverse. Elle apparait du coup moins crédible aux yeux d’une frange de l’opinion qui n’est pas insensible à son discours.
Et quid des organisations de la société civile ?
Ce qui me frappe peut-être dans cette affaire, c’est la différence d’attitude, flagrante, entre les organisations de la société civile congolaise et gabonaise. Alors que les premières, outrées, crient au scandale et demandent des comptes, les secondes se murent dans le silence, donnant l’impression de jeter aux orties leurs principes – de transparence et de probité – pour défendre l’un des leurs, sans tenir compte à aucun moment de la gravité de la faute qu’il aurait commise. Un peu comme en chimie, cette affaire Guy Nzouba-Ndama agit comme un révélateur sur tout un pan de l’opposition et de la société civile gabonaises. Elle montre le décalage entre les valeurs affichées et les actes.