Politiquement, les choses se sont bousculées ces derniers jours au Gabon avec la multiplication des annonces de candidatures à l’élection présidentielle. Si celle du président Ali Bongo Ondimba a donné lieu à beaucoup d’analyses, celles émanant de l’opposition ont été nettement moins décortiquées. Nous avons demandé à un professeur en science politique, connu pour sa lecture très fine la vie politique gabonaise, de combler cette lacune et de nous éclairer à ce sujet. Interview.
La Libreville : Ce weekend, les événements se sont accélérés sur le plan politique au Gabon avec l’annonce de candidatures importantes à l’élection présidentielle. Qu’est-ce qui vous a le plus marqué ou interpellé ?
Universitaire : Beaucoup de choses ont retenu mon attention car cette séquence a été très dense. S’il fallait n’en citer qu’une, je dirais, du côté de la majorité, la démonstration de force ce lundi du PDG dont les militants ont rempli le stade de Nzeng-Ayong (dans le 6ème arrondissement de Libreville, NDLR). Au Gabon, il n’y a que le parti au pouvoir qui peut faire ça. C’est une image, un symbole fort. Et en politique, les symboles, ça compte.
Du côté de l’opposition, ce qui a retenu mon attention, ce sont les mots très sibyllins de Jean Ping par rapport à la candidature de Barro Chambrier et Missambo. « Si certains estiment en leur âme et conscience, qu’il faut y aller, je ne peux que prendre acte », a-t-il déclaré. On a connu soutien plus franc…
Comment expliquez-vous pareils propos dans la bouche du leader de la CNR ?
Je donnerais trois raisons. La première est que – et il faut le lui reconnaître – Jean Ping est constant dans son appel au boycott des élections. Il considère qu’il a gagné en 2016 et que tous les scrutins qui ont eu lieu depuis sont illégitimes. Cette stratégie est mortifère mais c’est la sienne. Et il n’en déroge pas.
La deuxième raison tient au fait que – ce n’est un secret pour personne -, Jean Ping considère qu’il n’a pas d’héritier naturel dans l’opposition. Aucun candidat ne trouve véritablement grâce à ses yeux. A tort ou à raison, il juge qu’ils ne sont pas à la hauteur, qu’ils ne lui « arrivent pas à la cheville » comme il le dit. Barro Chambrier a tenté jusqu’au bout de le convaincre du contraire. Mais il s’est heurté à un mur.
La troisième raison et moins avouable. En politicien madré, Jean Ping n’entend pas lâcher le leadership qu’on lui prête au sein de l’opposition. Comme tous les grands hommes politiques, il n’envisage pas sa mise en retrait. Il veut mourir sur scène, pour reprendre une expression connue. Or, il sait que s’il donne sa bénédiction à tel ou tel candidat, c’en sera fini de son magistère au sein de l’opposition gabonaise. Et ça, il n’y tient pas. En tout cas, pas encore.
Certains évoquent déjà un duel au sein de l’opposition entre Barro Chambrier et Paulette Missambo qui sont tous deux membres de la même Plateforme…
Oui, d’Alternance 2023 qui a dit vouloir présenter un « candidat consensuel ». Nous verrons. En attendant, difficile de dire qui, entre Barro Chambrier et Paulette Missambo, est le mieux placé des deux. Et pour cause, leur profil est assez similaire. Ils ont déjà un certain âge (65 ans en aôut prochain pour Barro Chambrier, 71 pour Missambo). Tous deux ont été ministres sous Omar Bongo (ministre délégué aux Finances pour l’un, de la Santé pour l’autre) et n’incarnent donc pas particulièrement le renouveau ;t ous deux sont de piètres orateurs, et ça n’est pas leur faire injure que le reconnaître. Enfin, ils sont doté, l’un comme l’autre, d’une personnalité introvertie. Ils sont plus cérébraux qu’expansifs, ce qui en politique n’est pas forcément un atout…
Croyez-vous en une candidature commune de l’opposition ?
Non, pour les raisons que je viens de vous expliquer. Ping ne voudra pas lâcher son magistère et va tout faire pour le garder. Ni Barro Chambrier, ni Missambo ne voudront laisser la politesse à l’autre car celui qui serait désigné deviendrait de facto le leader de l’opposition pour les cinq années à venir et relèguerait l’autre au second rôle. Si vous ajoutez à cela le fait qu’il y a beaucoup d’autres candidats (plus d’une dizaine du côté de l’opposition), vous comprenez aisément que, s’agissant d’une candidature commune, il y a loin de la coupe aux lèvres…
Le fait que la présidentielle se dispute le même jour que les législatives jouent-ils aussi un rôle ?
Oui, vous avez raison. C’est un fait largement passé sous silence. Pourtant, il est déterminant. Tous les partis veulent être représentés à l’Assemblée nationale. Or, si un parti n’a pas de candidat à la présidentielle, il aura moins de députés. Un candidat à la présidentielle, c’est une locomotive qui tire le reste. Si un parti politique n’a pas de candidat à la présidentielle, il se tire une balle dans le pied pour les législatives et les municipales. Il part avec un net handicap. Dans ces conditions, quel responsable de l’opposition sera prêt à se sacrifier et sacrifier ses troupes ?
Pour l’opposition, la candidature commune, c’est la panacée ?
Si l’opposition veut faire un résultat lors de cette élection, la candidature commune – notez d’ailleurs qu’on ne parle plus de candidature unique mais commune… – est une condition nécessaire mais absolument pas suffisante. C’est là l’une des principales erreurs de l’opposition. 2023 n’est pas 2016. La configuration n’est plus la même. Le rapport politique est nettement plus favorable à la majorité qu’il ne l’était il y a sept ans. Un bon baromètre de cette tendance, c’est le fait que beaucoup d’opposants continuent de rejoindre Ali Bongo Ondimba alors qu’à l’époque, c’est lui qui faisait face à des désistements […] Pour aggraver les choses, l’opposition est très divisée. Et elle peine à articuler son projet. S’attaquer au président ne sera pour elle pas suffisant.
L’opposition parle-t-elle trop du président et pas assez d’elle-même ?
En ciblant le président, l’opposition est dans son rôle. Mais ne faire que ça ou essentiellement ça, ça n’est pas une stratégie électorale efficace. Prenez le débat sur le bilan du président suscité ces derniers jours par l’opposition. Oui, ça agite les réseaux sociaux et certains médias. Très bien, mais quel est le projet de cette opposition ? Qu’a-t-elle à proposer de différents ? C’est ça qui compte pour les Gabonais sur le terrain. Plutôt que de parler du passé, l’opposition devrait parler de l’avenir. Mais à ce dernier sujet, pour l’heure, elle ne dit pas grand chose.
Au final, que peut espérer l’opposition lors de ces élections ?
De mon point de vue, cette présidentielle au Gabon est, pour l’opposition, moins une élection qu’une primaire. Ali Bongo Ondimba sera très difficile à battre, pour ne pas dire plus. L’enjeu pour les Barro Chambrier, Missambo, mais aussi Dakure-Davain, Gondjout, Zibi et autres, car il pourrait y avoir des surprises, c’est d’arriver en tête de leur famille politique. Car celui qui arrivera en tête le 26 août deviendra le leader de son camp pour les cinq années à venir et prendra un avantage décisif pour la suite. Pour le dire simplement, l’opposition ne joue pas 2023, elle joue 2028.