Interview : « Au Gabon, trop de nos compatriotes meurent encore du paludisme chaque année » (Docteur Karl Imboumy-Limoukou)

Le Docteur Karl Imboumy-Limoukou © DR

A l’occasion de la Journée mondiale contre le paludisme ce samedi 25 avril, qui se déroule dans un contexte particulier marqué par la pandémie mondiale de Covid-19, le Docteur Roméo Karl Imboumy-Limoukou, chercheur au Centre international de recherche médical contre le paludisme et l’un des meilleurs spécialistes gabonais du paludisme, s’est confié à La Libreville. Interview éclairante. 

Propos recueillis par Albertine Ondo

La Libreville : Cette année, la journée mondiale de lutte contre le paludisme a lieu en pleine pandémie de Covid-19. N’y a-t-il pas un risque qu’elle soit occultée ?

Docteur Karl Imboumy-Limoukou : L’OMS met l’accent sur la nécessité de maintenir les efforts destinés à prévenir, à détecter et à traiter le paludisme en appliquant les meilleures pratiques pour protéger les agents de santé et les communautés de l’infection par le virus de la COVID-19. Cependant à l’instar des précédentes Journées Mondiales de lutte contre le Paludisme (JMP) très peu d’intérêt est suscité pour cet évènement planétaire. Aucun message de sensibilisation n’a été diffusé en prélude à cette journée que ce soit sur la chaine nationale ou sur les réseaux sociaux. Nous chercheurs et autres acteurs investis dans cette lutte nous battons pour que cette journée ne passe pas incognito car encore bien trop de nos compatriotes meurent du paludisme chaque année et c’est inacceptable !

La LBV : Combien de personnes décèdent chaque année du paludisme au Gabon ? Et parmi elles combien d’enfants ?

Dr IL : Au Gabon, selon les chiffres officiels issus des données du Programme National de Lutte contre le Paludisme 467 décès ont été enregistrés dont 75 % sont des enfants. Mais je tiens à souligner que ce chiffre est largement sous-estimé du fait que non seulement les populations souvent préfèrent gérer les cas de paludisme à la maison mais aussi la difficulté de compiler les données à l’échelle nationale. Ces chiffres tiennent plus compte des régions urbaines alors que les régions de l’arrière-pays sont les plus impactées.

La LBV : Le paludisme tue donc bien plus que le Covid-19. Pourtant, toute l’attention semble portée sur le Covid-19. Pourquoi ?

Dr IL : Le nombre de cas d’infection par le nouveau coronavirus dans les pays impaludés ne représente actuellement qu’une faible proportion du total mondial toutefois cela peut vite évoluer mais nous n’en sommes pas là. On peut comprendre que d’énormes efforts soient consentis sur la lutte contre la pandémie au SARS-CoV2 du fait de sa haute contagiosité (transmission homme à homme) et surtout qu’il n’existe pas encore de traitement efficace contrairement au paludisme. Cette pandémie commence déjà à avoir un impact sur le paludisme car elle entrave la distribution des moustiquaires et des médicaments antipaludiques. A terme le bilan de l’année 2020 risque d’être critique. Il faut faire attention !

La LBV : Certains patients, qui pensent être affectés par le paludisme au Gabon, disent craindre de se rendre dans les hôpitaux en raison du Covid-19 ? Est-ce vrai ?

Dr IL : Cela est un constat à l’échelle mondial et pas que pour le paludisme. Cette désertion des milieux hospitaliers est expliquée en grande partie par la crainte de contracter le coronavirus en milieu médical, et qui touche aussi les parents, plus frileux à l’idée d’aller avec leur enfant chez le pédiatre. Cette peur peut présenter un véritable risque d’aggravation de l’état de santé de certains malades surtout ceux présentant des maladies chroniques nécessitant un suivi régulier.

La LBV : Quels sont les besoins principaux pour renforcer la lutte contre le paludisme au Gabon ?

Dr IL : Le Gabon n’étant plus éligible à certains financements tel que celui du fond mondial à cause de notre statut de pays à revenu intermédiaire tranche supérieure ne peut désormais compter en majorité que sur le gouvernement gabonais qui doit augmenter ses subventions dédiées à la lutte contre le paludisme.

Pour avoir beaucoup fait du travail de terrain dans le Gabon profond, je pense qu’un effort particulier doit être mis sur l’éducation de nos populations. Par exemple beaucoup associent toutes fièvres à un paludisme ou encore ils ne maitrisent pas le mode de transmission du paludisme. Il devient donc impérieux de multiplier les campagnes d’information et de sensibilisation des populations. En outre, il faudrait augmenter le taux de couverture en Moustiquaires Imprégnées d’Insecticides à Longue Durée d’Action (MIILDA) et réaliser un meilleur suivi épidémiologique.

La LBV : Comment jugez-vous la prise en charge sanitaire des patients Covid-19 au Gabon ?

Dr IL : Je n’ai pas assez de recul pour répondre à cette question car vivant à Franceville, ville dans laquelle aucun cas n’a encore été déclaré. Par contre je tiens à féliciter le gouvernement pour la décision de faire du diagnostic massif des populations un outil de lutte contre le CoVid-19 nous sommes d’ailleurs l’un des pionniers en la matière.