Gabon : « Sur l’homosexualité, Jean Ping tient un double discours, différent à Bruxelles et à Libreville » (diplomate)

L'opposant Jean Ping a pris le risque de stigmatiser les homosexuels lors d'une intervention sur sa page Facebook samedi 4 juillet 2020 © DR

Transparent depuis la crise du Covid-19, l’ex-leader de l’opposition, sur le reculoir depuis 2016, a repris hier la parole. Il a de fait affiché son opposition à la dépénalisation de l’homosexualité au Gabon, quitte à se mettre à dos ses derniers soutiens à l’extérieur sans pour autant parvenir à reconquérir l’opinion. Explications.

Si gouverner, c’est prévoir, alors Jean Ping ne semble décidément pas prêt à exercer les plus hautes responsabilités.

Hier, samedi 4 juillet, l’ex-candidat unique de l’opposition lors de la présidentielle de 2016, inaudible durant la crise du Covid-19, a repris la parole sur Facebook pour afficher son opposition à la dépénalisation de l’homosexualité au Gabon plusieurs jours après l’adoption définitive du texte par le Parlement.

« Il est plus que nécessaire, pendant qu’il est encore temps, de retirer ce texte qui divise », a tonné Jean Ping afin, assure-t-il, « d’éviter la montée de la violence et que certains compatriotes ne soient jetés en pâture ou que notre pays, le Gabon, ne soit stigmatisé, à tort ».

Aussitôt son discours prononcé, les réactions des responsables politiques gabonais, dans la majorité comme dans l’opposition, ont oscillé entre indifférence et ironie mordante. « Je n’ai pas eu le temps de regarder son intervention », explique, passablement gêné, l’un des leaders des Démocrates, le principal parti d’opposition. « Comme toujours, Jean Ping est en retard d’une guerre », raille un responsable du PDG, la formation majoritaire, en pointant l’âge avancé de l’opposant qui aura 81 ans en 2023, date de la prochaine élection présidentielle.

Pour ce professeur en droit public, même s’il concède que les propos du vieil opposant sont à contre-temps, les choses sont plus subtiles. « Si l’objectif de Jean Ping était de peser véritablement sur les débats, il aurait pris la parole plus tôt, durant la discussion parlementaire. Or, il le fait alors que le texte a été voté. Tout simplement parce qu’il n’avait pas politiquement les moyens d’influer sur les débats et il ne voulait pas montrer ses faiblesses aux yeux de l’opinion », analyse l’universitaire pour qui « la déclaration de Jean Ping est moins comme un acte politique qu’un exercice de communication ».

Pour cet autre universitaire, professeur en science politique à l’UOB lui-aussi, la sortie du vieil opposant apparaît comme une tentative de reprendre la main à un moment où celui-ci est en perte de vitesse. « Jean Ping a vu ses soutiens le quitter un par un ces derniers temps. Il est contesté à la fois par les barons de l’opposition comme par les jeunes loups. Il a été transparent durant la crise du Covid-19. Avec le sujet de la dépénalisation de l’homosexualité, il voit un moyen de réapparaître aux yeux de l’opinion », commente l’universitaire.

Un point de vue partagé par cet autre politologue, originaire de Port-Gentil. « Jean Ping sait que les autorités gabonaises ont bien géré la crise du Covid-19 en dépit des difficultés. Le président Ali Bongo a été en première ligne et très visible ces derniers mois. Du coup, il valait mieux pour lui porter l’essentiel de ses coups sur un autre sujet, en l’occurrence la dépénalisation de l’homosexualité », fait-il observer.

Mais pas sûr que la dernière sortie de Ping lui permette de rebondir. Au contraire, en tentant de coller aux aspirations les plus populistes d’une fraction de l’opinion, il a pris le risque de perdre les tout derniers soutiens qui lui restaient à l’extérieur. C’est ce qui transparaît des déclarations de ce diplomate de l’UE.

« On ne peut dire une chose à Bruxelles et une autre à Libreville »

« Il fallait du courage aux autorités gabonaises pour revenir un an après sur la pénalisation de l’homosexualité. Quand on voit que Jean Ping y est opposé, c’est très décevant. Depuis quatre ans, il ne cesse de demander notre soutien en se prévalant du respect de la démocratie et des droits de l’Homme. Mais quand il a une occasion de montrer qu’il est le défenseur de ces droits, et bien, pour des raisons politiciennes, il leur tourne le dos », déplore ce diplomate, fin connaisseur du Gabon. « Sur cette question de la dépénalisation de l’homosexualité, on ne peut dire une chose à Libreville et son contraire à Bruxelles », lâche-t-il, suggérant ainsi une forme de duplicité, de double langage chez l’opposant qui n’a eu de cesse depuis 2016 de solliciter le soutien de l’UE dans son « combat pour la vérité des urnes ».

« C’est une attitude hypocrite », dénonce quant à lui le responsable d’une ONG gabonaise. « Ceux qui sont contre la dépénalisation de l’homosexualité ont trouvé un argument : ne dépénaliser pas et faite un débat car sinon, vous stigmatiserez les homosexuels. Mais c’est le monde à l’envers ! En fait, ils sont contre la dépénalisation mais ils n’osent pas le dire. Ce faisant, ils stigmatisent les homosexuels », cingle ce responsable associatif qui cite outre Jean Ping, un autre opposant Alexandre Barro Chambrier ou encore l’activiste Marc Ona Essangui qui, selon lui, « partagent tous le même argumentaire ».

De fait, hier, en voulant faire un pas en avant dans la reconquête de l’opinion, Jean Ping, qui n’apparaît plus comme une alternative crédible au président actuel, a probablement reculé de plusieurs pas. En se montrant opportuniste sur un sujet délicat, il n’a non seulement pas convaincu les Gabonais mais a sans doute perdu les rares soutiens qu’il avait encore à l’extérieur.