Gabon : Suite à la validation du bulletin unique par la Cour constitutionnelle, Alternance 2023 se déchire sur la stratégie à suivre

A l'approche du scrutin, Barro Chambrier (à gauche) et Missambo (au centre) ne semblent être plus d'accord sur rien © DR

La décision de la Cour constitutionnelle samedi 12 août validant sans réserve le bulletin unique vient compliquer davantage la quête d’une candidature commune au sein de la plateforme d’opposition Alternance 2023. Alors que certains sont tentés de faire cavalier seul pour défendre les intérêts de leur parti, d’autres pensent avoir trouvé la martingale : appeler les électeurs à ne voter qu’à la présidentielle avant, une fois leur président élu espèrent-ils, dissoudre l’Assemblée nationale pour convoquer de nouvelles élections législatives. Une stratégie aussi hasardeuse que périlleuse.

Pour l’opposition, à tout le moins une partie d’entre elle réunie au sein d’Alternance 2023, c’est l’heure de vérité.

Après avoir multiplié les polémiques (sur des sujets plus ou moins dignes d’intérêt) pour éviter d’avoir à exposer ses idées, après avoir mené une guérilla judiciaire comme les décisions du CGE (sur l’enveloppe accolée, puis le bulletin unique), désormais, celle-ci, ne pouvant jouer la montre plus longtemps à 12 jours des élections, ne peut plus repousser l’échéance.

Cette échéance, c’est l’hypothèse qu’Alternance 2023 entretient depuis plus d’une année, sur l’éventualité d’une candidature « unique ». Un subterfuge de communication davantage qu’une arme décisive sur le plan électoral.

La grenouille qui se voulait plus grosse que le bœuf

« Cette candidature commune ou consensuelle au sein de la plateforme, c’est un peu, comme dans la fable de La Fontaine, la grenouille qui veut se faire aussi grosse que le bœuf. Pour tenter de faire bonne figure face à la majorité réunie autour du président, qui part largement favori dans ce contexte, les candidats d’opposition se réunissent pour paraître plus forts », explique un professeur en science politique de l’UOB. « Mais », prévient-il, « si cela peut faire illusion sur un plan médiatique, électoralement parlant, ça ne garantit pas significativement plus de voix ».

C’est fort de ce constat que certains, au sein d’Alternance 2023, ont repris leur liberté. C’est le cas notamment de Pierre-Claver Maganga Moussavou, qui début août a annoncé dans une interview à L’Union son départ de la plateforme pour faire cavalier seul.

Carte de la dernière chance

L’ancien vice-président ne devrait pas être le seul. Aussitôt connue la décision de la Cour constitutionnelle sur le bulletin unique, ce samedi 12 août, certains, au sein de la plateforme d’opposition, ont abattu la « carte de la dernière chance ». Celle, croient-ils, qui leur permettra de sauver le principe d’une candidature commune.

L’idée ? Appeler les électeurs à ne voter qu’à la présidentielle avant, une fois leur président élu espèrent-ils, dissoudre l’Assemblée nationale pour convoquer de nouvelles élections législatives. « Cette stratégie est la seule qui puisse nous permettre d’avoir un seul candidat face au président sortant », explique l’un des promoteurs de cette idée, membre du parti Réagir.

Problème : cette martingale n’en est une qu’en apparence. Dans les faits, c’est autre chose. L’idée est aussi hasardeuse que périlleuse. « Cette stratégie repose sur la prémisse selon laquelle une candidature commune au sein d’Alternance 2023 pourrait lui garantir la victoire. C’est une hypothèse très optimiste. Avec une candidature consensuelle, la plateforme peut certes espérer faire un meilleur résultat que si elle présentait plusieurs candidatures. Mais de là à remporter le scrutin, la marche cette année est sans doute beaucoup trop haute pour l’opposition qui pourra peut-être espérer mieux en 2028″, explique l’universitaire de l’UOB.

Boycott partiel

Cette « stratégie » n’est pas seulement hasardeuse, elle est aussi périlleuse. Elle s’assimile en effet à un boycott partiel, qui n’a jamais véritablement réussi lors des élections. « Cette stratégie, c’est un peu quitte ou double. Car il est tout sauf certain que les électeurs suivent cette consigne. Ceux-ci sont tout aussi attachés à leur député, qui est proche d’eux, qu’à leur président. Penser que le 26 août, ces électeurs ne voteront pas pour leur député est pour le moins totalement illusoire », explique un expert en questions électorales, spécialistes de l’Afrique centrale.

Sans compter les difficultés techniques. « On voit mal, avec le bulletin unique, comment Alternance 2023 pourrait appeler à voter pour le président et pas pour les députés alors que leurs deux noms figureront sur le même bulletin », s’interroge avec un ancien ministre, redevenu député au sein de la majorité. « C’est complétement byzantin. Les électeurs vont s’y perdre« , renchérit un de ses collègues de l’opposition.

Stratagème pour promouvoir la candidature de Paulette Missambo

Au sein d’Alternance 2023, une partie d’entre elle en tout cas, le danger de cette stratégie est bien perçu. « C’est proprement suicidaire. On prend le risque de se retrouver sans aucun député à l’Assemblée pour les cinq prochaines années », peste un lieutenant d’Alexandre Barro Chambrier, le président du RHM qui voit dans cette idée un « stratagème pour promouvoir la candidature de Paulette Missambo ». 

De fait, au sein d’Alternance 2023, il y a une division entre deux blocs : ceux qui n’ont pas ou peu députés (comme Réagir, Raymond Ndong Sima ou le Pr Albert Ondo-Ossa qui n’en ont aucun ou l’UN qui n’en a qu’un seul), et ceux qui en ont davantage comme le RHM (6 députés) et qui ont donc beaucoup plus à perdre.

Les dents grinces également du côté des Démocrates, le principal parti d’opposition à l’Assemblée nationale, avec 10 députés. « Nous sommes prêts à soutenir une candidature commune pour la présidentielle (Paulette Missambo, NDLR). Mais nous demander en plus de ne pas présenter de candidats aux législatives, c’est une ligne rouge que nous n’accepterons pas de franchir. Nos partisans d’ailleurs, à commencer par les candidats que nous avons investis pour ces législatives, ne l’accepteraient pas », prévient l’un des lieutenants de Guy Nzouba-Ndama.

A douze jours seulement des élections générales, Alternance 2023 cherche encore la bonne formule. En tergiversant de la sorte, elle entretient le flou. Au risque de perdre des plumes et de précieuses voix dans les urnes le 26 août prochain.