Le Gabon s’apprête à vivre un véritable shutdown institutionnel. En effet, passée la date du 30 avril 2018, l’Assemblée nationale, le Conseil économique et social, la Commission nationale de lutte contre l’enrichissement illicite et quantité d’autres institutions ne seront plus légitimes. Un vide juridique dont Emmanuel Issoze Ngondet, le premier ministre, est considéré comme responsable et qui a contraint la présidente de la Cour constitutionnelle à prendre la parole publiquement pour annoncer d’importantes décisions.
« Shutdown », le mot est lâché au Gabon. En anglais, le terme signifie littéralement « fermeture ». Concrètement, c’est une mesure prévue par la Constitution américaine lorsque le Congrès ne parvient pas à voter le Budget. Le gouvernement américain est alors dans l’incapacité de payer son administration. Les fonctionnaires qui ne sont pas essentiels sont mis au chômage technique et les agences fédérales sont paralysées.
Au Gabon, c’est, toutes choses égales par ailleurs, ce qui pourrait se passer. En effet quantité d’institutions auraient normalement du voir leur composition renouvelée au plus tard… aujourd’hui, lundi 30 avril 2018. C’est notamment le cas de l’Assemblée nationale, du Conseil économique et social, du Conseil national de la démocratie, de la Commission nationale de lutte contre l’enrichissement illicite ou encore de la Haute autorité de la communication. Mais faute d’élections pour l’une et de décrets de nomination pour les autres, l’ensemble de ces institutions se retrouveront dans un vide juridique total. Une situation d’autant plus incompréhensible qu’elle aurait aisément pu être évitée, les échéances étant connues depuis longtemps.
A qui la faute ? Emmanuel Issoze Ngondet visé
Du coup, à Libreville, l’inquiétude monte. Et comme c’est souvent le cas en pareille circonstance, on commence à en chercher les responsables. Le premier à être pointé du doigt n’est autre que le chef du gouvernement, Emmanuel Issoze Ngondet. Depuis quelques heures, une rumeur tenace de démission circule à son sujet, démentie ce matin par son cabinet.
Pourtant, l’homme n’en mène pas large. Depuis plusieurs semaines, nombreux sont ceux à lui reprocher son manque de réactivité dans la gestion de certains dossiers, en particulier dans la mise en oeuvre des actes issus du dialogue politique d’Angondjé (d’où le retard pris dans l’organisation des élections législatives, maintes fois repoussées), ainsi que sa responsabilité directe dans la crise institutionnelle à venir (shutdown institutionnel) du fait du non renouvellement des mandats des membres de plusieurs institutions (pré-citées).
Si le Premier ministre concentre l’ensemble des critiques, en revanche, les raisons de son inaction font débat. Pour certains, il s’agirait simplement d’une incapacité à gouverner. « Gouverner, c’est prévoir. Emmanuel manifestement n’applique pas cette maxime », raye un ministre du gouvernement. D’autres évoquent la volonté du Premier ministre de nuire à l’Exécutif présidentiel. « Depuis la relance de l’administration de la présidence, le pouvoir réel se trouve au Palais du Bord de mer. Du coup, le chef du gouvernement en a pris ombrage et renâcle à jouer collectif », explique un haut-responsable au sein de l’administration centrale. D’autres encore, qui sont les plus nombreux, évoquent une raison plus prosaïque. « Il est de notoriété dans les cercles de pouvoir à Libreville que le premier ministre ne souhaitait pas que les élections législatives soient organisées le 28 avril de peur qu’un nouveau gouvernement soit nommé à la suite du scrutin et qu’il n’atteigne pas du coup les 18 mois nécessaires pour lui garantir ses droits à la retraite de premier ministre », explique un professeur de droit constitutionnel de l’Université Omar Bongo.
Marie-Madeleine Mborantsuo contrainte de s’exprimer
Quoi qu’il en soit, la situation, qui s’est déjà produite une fois – c’était en 1996 – a été jugée suffisamment grave pour contraindre Marie-Madeleine Mborantsuo, la présidente de la Cour Constitutionnelle à s’exprimer publiquement. De son intervention, qui a duré quelques minutes à peine et qui vient tout juste de se terminer, on retient que l’actuel gouvernement cessera ses fonctions dès ce soir, qu’un nouveau sera rapidement nommé, que celui-ci sera responsable uniquement devant le président de la République (l’Assemblée nationale n’étant plus légitime) en attendant la tenue des élections législatives – organisées par le Conseil gabonais des élections (CGE) – qui pourraient au mieux avoir lieu fin août – début septembre.