Gabon : L’interpellation de Privat Ngomo suite à son discours virulent devant l’ambassade de France à Libreville illustre la « schizophrénie » de l’opposition vis-à-vis de l’ex-puissance coloniale

L'opposant gabonais Ngomo Privat a fait hier un discours appelant la France, qu'il a violemment critiqué par ailleurs, à rétablir la démocratie au Gabon © Capture d'écran vidéo

L’opposant a été interpellé vendredi 12 juillet à Libreville après avoir barré l’accès du boulevard du Bord de mer, grâce à la complicité d’une dizaine de jeunes, et lu un discours devant l’ambassade de France demandant à l’ancienne puissance coloniale de reconnaître la victoire de Jean Ping lors de l’élection présidentielle de 2016.

C’est un « coup de com » qui pourrait lui coûter cher. Hier, durant trente longue minutes, l’opposant Privat Ngomo a déclamé un discours devant l’ambassade de France, sous les applaudissements de quelques dizaines de jeunes, ayant revêtu un tee-shirt à l’effigie de Jean Ping.

« Pourquoi cette France refuse-t-elle obstinément de reconnaître depuis trois ans la victoire incontestable de Monsieur Jean Ping, de respecter le libre choix démocratique et souverain du peuple gabonais ? Pourquoi n’est-elle pas fidèle aux idéaux de démocratie, de liberté, d’égalité et de fraternité  qu’elle va célébrer le 14 juillet prochain ? », a déclaré l’opposant, très proche de Jean Ping.

De façon surprenante, l’opposant a pu tranquillement quitté les lieux, une fois son discours terminé. Ça n’est qu’un peu plus tard qu’il a finalement été interpellé par la police pour occupation illégale de l’espace public, entrave à la libre circulation et trouble à l’ordre public.

« Ça permettra peut-être aux autorités françaises de voir ce que d’attendre longtemps l’arrivée des forces de l’ordre quand notre ambassade est envahie à Paris par l’opposition, ce qui s’est régulièrement produit ces dernières années, mais aussi de voir quel est le vrai visage de l’opposition gabonaise, dont certains ont une vision un peu trop romantique », constate, mi-amusé mi-agacé, Marc, cadre-dirigeant dans le secteur bancaire, qui habite non loin de la rue du pont Pirah où se trouve l’ambassade de France dans la capitale gabonaise.

Quoi qu’il en soit, le discours de Ngomo Privat illustre les ambivalences de l’opposition gabonaise vis-à-vis de la France. D’un côté, elle ne cesse de dénoncer l’ex-puissance coloniale, sa prédation économique (Total, Eramet, Rougier, Veolia autrefois…) et promeut la souveraineté totale du Gabon ; d’un autre, elle ne cesse d’en appeler à l’interventionnisme français afin que l’ex-métropole s’immisce dans les affaires intérieures gabonaises.

« C’est une attitude schizophrénique », souligne, amusé, un diplomate français, d’ailleurs parfaitement illustré hier par le discours de Privat Ngomo. Après avoir dénoncé de manière très virulente, dans un discours sous forme de diatribe, le « colonialisme » et « l’impérialisme » français en Afrique, celui-ci en a appelé à… la France afin de « rétablir la démocratie » au Gabon !

Pour spectaculaire qu’elle soit, le coup de com de Privat Ngomo a moins pour objet de faire bouger les lignes du côté diplomatique que de nourrir les réseaux sociaux et les quelques sites d’information sur internet proches de l’opposition. En Afrique, le Gabon est l’un des partenaires les plus privilégiés de la France nous expliquait ce jeudi un haut-diplomate français, en marge d’une rencontre entre le président français Emmanuel Macron et les représentants des diasporas africaines au Palais de l’Elysée.

« Le Gabon est l’un des rares pays en Afrique avec lequel la France n’a que des intérêts et très peu de contreparties négatives. C’est loin d’être le cas de figure majoritaire (…) Que ce soit en matière économique, sécuritaire ou d’environnement, Paris a besoin de Libreville. Et contrairement à d’autres pays comme ceux d’Afrique de l’Ouest, le Gabon n’est pas concerné par la problématique de l’immigration illégale qui devient très préoccupante ici en Europe », nous a indiqué ce diplomate, qui a effectué une bonne partie de sa carrière en Afrique centrale.

A Paris, on semble fatigué par cette opposition qui ne fait « que dénoncer sans jamais rien proposer ». Preuve de cette lassitude, la branche la plus bruyante de la diaspora gabonaise, très proche de Jean Ping, n’a pas été convié à participer au grand débat avec les diasporas africaines organisé cette semaine par Emmanuel Macron au Palais de l’Elysée (lire notre article).