Gabon : Le coût de la mesure de gratuité de l’eau en période de Covid-19 a-t-il été surévalué ?

Le chiffrage budgétaire par le gouvernement de la mesure de gratuité de l'eau en période de Covid-19 au Gabon suscite des interrogations © DR

Dans le cadre de la mesure de gratuité de l’eau pour les populations « fragiles et économiquement faibles », le gouvernement a annoncé le déboursement mensuel d’une somme de 2,291 milliards de francs CFA pour les clients de la catégorie « particuliers ». Selon plusieurs internautes gabonais, ce montant serait majoré de 89 % par rapport au prix habituel réel du m³ d’eau pratiqué par la SEEG. Problème, ce raisonnement simpliste est basée sur des prémisses erronées et c’est bien un faux-procès que certains ont tenté d’instruire contre les autorités.

C’est bien connu. A la complexité, les réseaux sociaux préfèrent la simplicité. Quitte, le plus souvent à basculer dans le simplisme, et sombrer dans… l’erreur. C’est précisément ce qui est arrivée à la mesure de gratuité de l’eau en période de Covid-19 pour les Gabonais les plus vulnérables.

Annoncée début avril par le président de la République, Ali Bongo Ondimba, elle avait été précisée une semaine plus tard par le premier ministre, Julien Nkoghe Bekalé, notamment quand à son chiffrage. L’Etat supportera la consommation de plus de 150 000 clients à hauteur de 2,291 milliards de francs CFA par mois, avait annoncé le chef du gouvernement le 10 avril dernier.

Le premier ministre avait alors précisé que la mesure concernait les clients de la catégorie « particuliers », dont la consommation par ménage est inférieure ou égale à 15 m³ par mois. 152 734 abonnés ont ainsi été classés dans cette catégorie. « La prise en charge mensuelle est de 15 000 francs CFA TTC par abonné. Ce qui coûtera au total 2,291 milliards de francs CFA par mois », avait indiqué M. Nkoghe Bekale.

Aussitôt, la mesure a fait l’objet d’une vérification (fact checking). Dans une vidéo rapidement devenue virale sur les réseaux sociaux, une internaute gabonaise a pointé du doigt ce qu’elle considère être un surcoût du m³ d’eau.

« 15 000 francs pour 15 m³ implique que le m³ d’eau coûte 1000 francs CFA. Ce qui n’est pas le cas. La Société d’énergie et d’eau et Gabon (SEEG) facture le m³ d’eau à 470,97 francs CFA TTC (toutes taxes comprises), soit moins de la moitié du chiffrage avancé par le premier ministre », explique cette compatriote.

Selon elle, sur la base de 470,97 francs CFA le m3, la charge mensuelle d’un abonné plafonné à une consommation de 15 m³/mois revient à 7064,55 francs CFA. Pour les 152 734 abonnés particuliers concernés par la mesure de gratuité temporaire de l’eau, le total devrait s’élever à 1,078 milliard de francs CFA TTC. Soit, dans son esprit, une différence de 1,213 milliard de francs CFA avec ce qu’a annoncé le premier ministre.

Fausses prémisses, faux procès

Problème, ce raisonnement est basé sur de fausses prémisses, comme l’explique une source au sein du ministère de l’Eau et de l’Energie Hydraulique.

« En réalité, ces internautes se méprennent totalement. Pourtant le raisonnement est simple. La base d’éligibilité pour bénéficier de la mesure de gratuité de l’eau est le fait d’être un particulier et de consommer, en temps normal, j’insiste sur ce point, moins de 15 m³/mois. Ce qui fait au total 152 734 abonnés bénéficiaires », commence par expliquer ce membre du cabinet du ministre.

« A toutes ces personnes-là, on verse un avoir sur leur facture d’eau de 15 000 francs CFA. Si on fait le calcul 152 734 x 15 000, on obtient bien le montant de 2,291 milliards de francs CFA par mois. Donc laisser sous-entendre que près de la moitié de cette somme irait je-ne-sais où, c’est complètement grotesque, pour ne pas dire diffamatoire. L’intégralité des 2,291 milliards de francs CFA par mois va dans la poche de ces 152 734 particuliers abonnés », poursuit-il avec verve, sincèrement outré par ce qu’il qualifie de « fausse polémique » qui a prospéré sur les réseaux sociaux.

Et quid de l’argument selon lequel, comme le dit l’internaute gabonaise, le m3 d’eau aurait été surfacturé (1000 francs CFA le m3 budgété dans la mesure, contre 470,97 en temps normal) ? Ici aussi, la réponse de notre interlocuteur fuse, limpide. « Le calcul qui a été fait, ça n’était pas de donner aux bénéficiaires ce qu’ils consomment en temps normal. Car en cette période de confinement, ils sont plus souvent, eux et et leur famille, à la maison. Ils consomment donc beaucoup plus d’eau qu’en temps normal. Ils boivent plus, prennent plus de douche, utilisent plus d’eau pour faire la vaisselle, prennent plus de bains car ils en ont le temps, etc. Sans compter qu’en cette période de Covid-19, chacun doit se laver beaucoup plus fréquemment les mains. Il aurait été insuffisant, et je dirais même injuste, de leur allouer la même quantité d’eau qu’en temps normal (…) Comme ils consomment plus qu’à l’accoutumée (probablement près du double selon nos prévisions) et que l’on ne souhaite pas qu’ils aient à payer un supplément pour dépassement de consommation une fois que la crise sera passée, le gouvernement a décidé de quasiment doubler la quantité d’eau mis à disposition de chacun des abonnés. Si vous voulez, durant cette période exceptionnelle, chacun d’entre eux est susceptible de consommer jusqu’à près de 30 m³/mois sur la base d’un m3 toujours facturé à hauteur de 470,97 francs CFA et non, comme le disent certains sur les réseaux sociaux, de 1000 francs CFA », éclaire ce haut-fonctionnaire du ministère de l’Eau et de l’Energie.

Des explications limpides dont on peut simplement regretter qu’elles n’aient pas fait l’objet d’une communication officielle de la part du ministère qui a, de fait, laissé prospérer une fausse polémique et s’instruire un faux procès qui ont eu pour effet d’injustement décrédibiliser l’action publique à un moment où celle-ci requiert l’adhésion de tous les Gabonais.