[Gabon] Financement occulte de la campagne de Jean Ping en 2016 : le rapport qui accuse

L'opposant gabonais Jean Ping gravement mis en cause dans un rapport. L'exploitation illégale de la forêt tropicale lui aurait notamment permis de financer sa campagne électorale en 2016 @ DR

Un rapport publié par l’ONG américaine Environmental Investigation Agency, qui fait autorité dans son domaine, pointe du doigt les liens financiers entre le candidat de l’opposition à la présidentielle gabonaise de 2016 et le Groupe Dejia, l’un des producteurs et exportateurs de bois les plus importants en Afrique centrale, régulièrement mis à l’index pour ses pratiques de corruption et ses dégâts causés à l’environnement. 

«Commerce toxique : La criminalité forestière au Gabon et en République du Congo qui contamine le marché des Etats-Unis». C’est l’intitulé d’un rapport de 84 pages rédigé par l’Environmental Investigation Agency, Inc. (EIA), fruit d’une enquête de longue haleine qui a bénéficié des contributions d’Earthsight et de l’aide financière de nombreuses organisations écologiques internationales.

Le rapport dénonce l’exploitation forestière illégale et du commerce illicite qui sont une menace grave pour le basin du Mayombe, l’un des poumons du monde. Les conséquences sont graves sur le climat, la biodiversité, les économies fragiles des États producteurs et les moyens de subsistance des peuples autochtones.

Un rapport dévastateur pour Jean Ping

Pour Jean Ping, il est dévastateur. Quelques unes des pages du rapport portent en effet sur les liens financiers entre le candidat de l’opposition à la présidentielle gabonaise de 2016 et le Groupe Dejia (prononcer « deh-ja »), l’une des plus importantes holding forestière productrice et exportatrice de bois en Afrique centrale. Celle-ci exploite notamment les forêts du massif du Mayombe, avec une production estimée, entre 2013 et 2016, à environ 323 885 tonnes de bois « dont 17 % provient du Gabon et 83 % de la République Congo », renseigne le rapport.

A la tête du Groupe Dejia, on trouve un certain Xu Gong De qui s’est établi en Afrique centrale à la fin des années 1980, à l’initiative, indique le rapport, « de son proche parent, M. Jean Ping, qui était à l’époque le Chef du cabinet d’Omar Bongo, président du Gabon de 1967 jusqu’à sa mort en 2009 ».

Corruption, évasion fiscale et multiples infractions à l’environnement

Les affaires de Xu Gong De ne tarderont pas à prospérer. Conglomérat chinois de sociétés forestières parmi les plus influentes d’Afrique, le Groupe Dejia règne aujourd’hui sur un empire érigé sur la corruption, l’évasion fiscale et de multiples infractions forestières, indique le rapport. Celui-ci « a fondé son modèle entrepreneurial sur une pléthore de crimes. [Il] a continuellement enfreint les lois forestières les plus fondamentales, se moquant des lois régulant l’export de grumes et détournant des millions de dollars dus au titre de l’impôt sur les sociétés au Gabon et en République du Congo », écrivent ses auteurs.

Pour Xu Gong De et le Groupe Dejia, le réquisitoire est sévère. Mais il l’est aussi pour Jean Ping. Protégé et aidé par Jean Ping, « son grand-oncle », l’homme d’affaires chinois, qui se présente désormais comme « le neveu de M. Ping », « a mis sur pied un réseau florissant de magasins de produits alimentaires et une société d’importation de produits alimentaires avant d’investir dans le secteur du bois. Fort de son succès économique et de ses relations politiques de haut niveau, il s’est rapidement positionné comme une figure centrale du commerce de bois entre l’Afrique et la Chine. Au début des années 2000, M. Xu était déjà considéré comme l’un des expatriés chinois les plus influents de la région », font observer les auteurs du rapport.

Pots-de-vin et financement occulte de campagne électorale

Pour étendre son empire, Xu Gong De ne reculera devant aucun moyen. Le rapport mentionne ainsi, de manière très précise, les «pots-de-vin fréquents versés à un vaste réseau de responsables, y compris certains ministres ». En échange, le Groupe Dejia peut s’adonner librement à la surexploitation et la coupe des espèces non autorisées au Gabon et au Congo, sans se soucier du respect de ses obligations légales. Le rapport évoque également l’installation d’«usines de façade et la farce des quotas d’exportation », non respectés par Dejia, au Gabon comme au Congo où son protecteur Jean Ping, qui l’y a installé, veille à ses intérêts.

Mais tout cela n’est pas gratuit. Rapidement, Xu Gong De devient le principal bailleur de fonds de Jean Ping. Selon le rapport, il a été le principal financier de l’ancien candidat à la présidentielle de 2016. « En échange de son soutien politique et de ses nombreuses relations en Chine et en Afrique, M. Xu, qui n’est autre que le neveu de M. Ping, a été le principal financeur de la campagne présidentielle de M. Ping en 2016 au Gabon, comme des responsables du Groupe l’ont expliqué aux enquêteurs d’EIA », indique le rapport d’enquête. « Jean reçoit de l’argent de [M. Xu], il paie pour tout pour lui », a confié aux enquêteurs l’un des responsables du Groupe Dejia.