Elections au Gabon : pourquoi les déclarations de l’Union européenne laissent Libreville indifférente

Emmanuel Macron, Ali Bongo Ondimba et Mohammed VI © DR

Cette semaine, l’Union européenne a appelé Libreville à l’organisation d’ « élections équitables ». Dans l’indifférence générale…

S’il fallait une preuve de l’absence de crédit politique accordé à l’Union européenne au Gabon, en voici une. Mardi 12 septembre, cette institution s’est fendue d’un communiqué au sujet du Gabon. « Nous sommes (…) préoccupés par le fait que la période préélectorale est caractérisée jusque-là par des tendances préoccupantes, les autorités interdisant systématiquement les rassemblements et les mouvements de protestation, ainsi que la suspension temporaire des deux principaux journaux d’opposition », a-t-elle indiqué dans une déclaration, avant d’exhorter le gouvernement gabonais à « à assurer un processus électoral équitable, inclusif et transparent, propice à des résultats crédibles ». Une déclaration faite à Genève à l’occasion de la 39ème session du Conseil des droits de l’homme des Nations unies.

A Libreville, cette déclaration n’a suscité quasiment aucune réaction, tant du côté de l’opposition affairée à sa pré-campagne en vue des élections législatives et locales prévues les 6 et 27 octobre que du pouvoir.

« Avec l’Union européenne, Libreville a l’habitude de ce genre de leçons de morale qui ne sont que des propos incantatoires », sourit un ambassadeur d’un pays de la sous-région en poste à Libreville. Un responsable du PDG, le parti au pouvoir, avance lui une autre explication. « Comme d’habitude, l’UE est dans l’exagération. Elle part de faits très limités pour en faire une généralité. Une manifestation d’un syndicat a été interdite pour des raisons particulières en août, mais cela n’avait rien à voir avec les élections. Quant aux deux médias de l’opposition suspendues, savez-vous combien il y de médias proches des opposants au Gabon ? Des dizaines et des dizaines, à la fois télé, radio, internet et réseaux sociaux », précise ce responsable politique ajoutant que « l’UE ne cherche pas à refléter la réalité mais à l’exagérer pour la rendre conforme à son logiciel idéologique ».

Mais l’argument de l’habitude ne suffit pas à expliquer l’indifférence avec laquelle les déclarations de l’UE ont été reçues au Gabon. « Vous savez, l’Union européenne, c’est beaucoup de belles paroles mais peu d’actes », confie un opposant. « Suite à l’élection présidentielle de 2016, l’Europe avait beaucoup parlé mais on a rien vu », poursuit-il avant de conclure : « il est donc normal de ne lui prêter de crédit ou même d’attention à ce type de propos ».

Il faut dire également que depuis 2016, beaucoup d’eau a coulé sous les ponts. Et les relations entre le Gabon et certains pays de l’UE, autrefois tendues, se sont nettement réchauffées depuis un an. A commencer par Paris. De notoriété publique, Emmanuel Macron et Ali Bongo entretiennent des relations très chaleureuses. Les deux hommes se sont  entretenus à de nombreuses reprises durant l’année écoulée. Et le chef de l’Etat gabonais a été invité par son homologue à Paris en décembre dernier pour un sommet sur le climat. Il devrait d’ailleurs y retourner très prochainement.

« L’Union européenne fait des déclarations. Mais elle n’exerce que le magistère du verbe. Ce qui compte, ce sont les positions des Etats. Et les relations entre Libreville, mais aussi Paris, Londres ou encore Berlin sont plutôt, voire franchement bonnes ; en tout cas, bien meilleures qu’il y a quelques années. Voilà ce qui justifie la relative indifférence de la part des autorités gabonaises », explique un haut-diplomate français, longtemps en poste à Bruxelles et qui a occupé plusieurs postes d’ambassadeur en Afrique durant sa carrière.

« Et puis, vous savez, on dit l’Union européenne ; mais en réalité, il s’agit de quelques euro-députés, dont le nombre n’excède pas cinq, qui sont focalisés sur le Gabon. En vérité, ce communiqué reflète leurs points de vue qui est, il faut le dire, très minoritaire au sein de l’UE. Mais l’UE en tant qu’entité laisse passer car les eurodéputés et les fonctionnaires de Bruxelles ont bien d’autres priorités. Ils ne vont donc pas se battre là dessus », ajoute-t-il dans un sourire.

« Si une porte se ferme en Europe, d’autres s’ouvrent partout dans le monde »

Pour ce professeur en science politique de l’Université Omar Bongo Ondimba, un autre élément explique l’indifférence avec laquelle la déclaration de l’UE a été reçue. « Le Gabon est courtisé partout dans le monde. Ali Bongo s’est entretenu avec XI Jinping à Pékin il y a quelques jours, il a fait de même avec Vladimir Poutine pendant près d’une heure à Moscou en juillet dernier. Quelques jours auparavant, il était à Ankara pour échanger avec Recep Tayyip Erdongan. Même chose avec Modi, le premier ministre indien à New Delhi en mars dernier, etc. Partout, on déroule le tapis rouge au Gabon. Si une porte se ferme en Europe, d’autres – de plus en plus nombreuses – s’ouvrent partout ailleurs dans le monde. Les autorités gabonaises le savent. Voilà pourquoi les communiqués de l’Union européenne n’ont plus d’impact », explique cet universitaire.

Fait symptomatique, ce matin, dans les rues de Libreville, peu de gens étaient au courant de dernières déclarations de l’Union européenne. L’information circule peu sur les réseaux sociaux entre Gabonais alors que deux ans auparavant, elle aurait fait le buzz. A cela, Steeve, un jeune professeur, la petite trentaine, partisan résolu de l’opposition, a une explication. « Je ne soutiens pas le gouvernement actuel. Mais je remarque que l’Union européenne fait la leçon toujours aux mêmes : les Africains. On l’entend beaucoup moins quand il s’agit par exemple de la Chine. Je me demande bien pourquoi ? », fait-il mine de s’interroger avant rapidement de nous donner congé et de s’éloigner d’un pas empressé. A l’instar de ses compatriotes, Steeve n’a pas de temps à accorder à ce qu’il considère sans doute comme du « blabla » sans importance.