[Editorial] Gel des recrutements dans la fonction publique au Gabon : Pourquoi Raymond Ndong Sima a tort

Raymond Ndong Sima @ DR

Cette semaine, l’ex-premier ministre a estimé que le choix du gouvernement gabonais de geler les recrutements dans la fonction publique était « terrible de conséquences dans une économie dont le premier employeur est précisément l’Etat ». Un raisonnement basé sur de fausses prémisses qui n’est, hélas, pas pertinent. 

En 2018, enfin, le Gabon a mis en oeuvre des réformes structurelles, d’ampleur. Parmi celles-ci, la réforme de l’Etat et celle de l’équilibre des comptes publiques. Deux réformes inédites dont l’une des conséquences a été le gel temporaire des recrutements dans la fonction publique. Une mesure saluée, à l’époque, par les partenaires internationaux du Gabon (FMI, Banque mondiale, etc.). A juste titre.

En effet, avec un nombre de fonctionnaires équivalant à 55 pour 1000 habitants, le Gabon est le champion de l’emploi public en Afrique. A titre de comparaison, le Cameroun voisin ne compte, lui, que 12 fonctionnaires pour 1000 habitants. Au Gabon, chacun le sait, le caractère pléthorique de la fonction publique est l’héritage d’un autre temps. Celui où l’argent public, tiré du pétrole, coulé à flot ; celui également où, la croissance démographique n’ayant pas encore fait son oeuvre, le recrutement dans la fonction publique servait à peu de frais à répartir la manne publique et à acheter la paix sociale. Ce temps-là, qu’on le veuille ou non, n’est plus.

Ensuite, Raymond Ndong Sima affirme que le gel des recrutements dans la fonction publique « est de nature à aggraver les problèmes dans le temps » car, dit-il, « appliqué en l’état, le gel des embauches conduira à terme à d’immenses trous dans les métiers publics et ces déficits coûteront encore plus chers à la collectivité ». Et l’ancien premier ministre de citer l’exemple des médecins, corps dans lequel il pourrait bientôt y avoir des pénuries. Le problème, c’est que M. Ndong Sima omet de prendre en compte un élément important de la réforme de 2018. Les gels de recrutement dans la fonction publique n’ont pas été décrétés sine die. Ils ont été décidés pour une période de deux ans, le temps pour l’Etat de revoir son organisation. Une donnée absente du raisonnement de l’ancien premier ministre, qui en fausse les conclusions.

Comme alternative au gel des recrutements, Raymond Ndong Sima propose « un abaissement de l’âge de la retraite et accessoirement dans les départs volontaires » afin « que ceux qui ont déjà vingt-cinq ans de travail libèrent la place et permettent à une partie de ceux qui pourraient être leurs enfants de commencer à travailler, de construire leur vie et de se préparer, à leur tour, à une retraite ». Ici, aussi le raisonnement est spécieux. Abaisser l’âge de départ à la retraite alors que l’espérance de vie augmente, c’est transférer la charge, dans ce qui s’assimile à un jeu de bonneteau, du budget de la fonction publique vers celui des retraites. Au final, c’est toujours le contribuable qui paye. A l’heure où il est nécessaire d’équilibrer les comptes publics, il y a sans doute mieux à faire.

Ensuite, dans son raisonnement, l’ex-premier ministre considère de fait que l’emploi est un stock défini et que le seul moyen de lutter contre le chômage, des jeunes, en particulier est de mieux répartir ce stock. C’est à dire baisser l’âge de départ à la retraite pour permettre aux jeunes de rentrer sur le marché du travail, en l’occurrence dans la fonction publique. Or, c’est précisément le pari inverse que fait le gouvernement, conformément à la volonté du président Ali Bongo Ondimba de faire de l’emploi la priorité en 2019. Celui-ci part en effet de deux postulats, absents dans le raisonnement de M. Ndong Sima.

Tout d’abord, les autorités gabonaises considèrent que l’emploi n’est pas un stock limité par nature. Que celui-ci peut être augmenté. C’est en effet en permettant aux entreprises de créer des emplois que, partout dans le monde, les gouvernants améliorent le taux d’activité des actifs et diminuent le taux de chômage. Ensuite, pour les autorités gabonaises, et c’est là le point essentiel, c’est au secteur privé qu’il revient au premier chef de créer des emplois. Les emplois publics ne servent pas à faire baisser le chômage mais à faire fonctionner un Etat pour rendre des services publics.

La priorité au Gabon, c’est de créer des emplois dans le secteur privé formel. L’Etat doit, lui, en créer les conditions favorables, que ce soit en matière de formation, d’environnement des affaires, de sécurité juridique ou de fiscalité. L’Etat, au Gabon comme ailleurs, ne doit pas chercher à faire ce qui n’est pas dans son rôle. Il doit, au contraire, chercher à remplir le mieux possible ce qui relève de ses missions. Comme en athlétisme, pour espérer gagner la course (atteindre ses objectifs), mieux vaut rester dans son couloir.