Décision de l’Union interparlementaire au sujet du Gabonais Justin Ndoundangoye : « juridiquement sans effet, politiquement contreproductif »

L'ex-ministre des Travaux publics, Justin Ndoundangoye, est incarcéré depuis janvier 2020 pour corruption et détournement de fonds publics © DR

Dans une décision adoptée le 3 novembre dernier par son conseil directeur, l’Union interparlementaire a pris fait et cause pour le député Justin Ndoundangoye, mis en cause par la justice gabonaise pour corruption et détournement de fonds dans le cadre de l’opération Scorpion. 

En janvier dernier, quelques jours après avoir vu son immunité parlementaire levée, l’ex-ministre des Travaux publics, opportunément redevenu député du Haut-Ogooué après son remerciement du gouvernement en novembre 2019, avait été mis en examen et écroué.

Justin Ndoundangoye figurait parmi les principaux accusés dans le cadre de l’enquête anti-corruption Scorpion qui a permis de mettre sous les verrous une vingtaine d’ex-hauts responsables publics gabonais. Surnommé « Okulu la solution », cet ex-secrétaire général de l’AJEV est un proche de l’ex-directeur de cabinet, Brice Laccruche Alihanga, principal accusé dans ce dossier. Comme lui, Ndoundangoye est soupçonné par la Justice gabonaise d’avoir détourné des dizaines de milliards de francs CFA.

Dix mois après son incarcération, l’Union interparlementaire, l’organisation mondiale des parlements, a pris position sur ce dossier. Saisie par les avocats du député incarcéré, son conseil directeur a adopté le 3 novembre dernier une décision dans laquelle il porte des accusations très graves, mais controversées, à l’encontre des autorités gabonaises.

A en croire cette instance, le dossier serait Ndoundangoye, pendant devant la Justice gabonaise, serait caractérisé entre autres par « des actes de torture, des mauvais traitements, une détention arbitraire, le non-respect des garanties d’une procédure équitable » ou encore par « une atteinte à l’immunité parlementaire ». S’en suit une série de recommandations, relativement légères et qui tranchent avec la gravité des allégations formulées, comme le fait de porter cette décision à la connaissance du président de l’Assemblée nationale gabonaise.

Mais que vaut en réalité une telle décision ? « Les professionnels du droit sont unanimes. « En réalité, pas grand chose ; pour ne pas dire, rien du tout », explique un éminent juriste ouest-africain qui, par le passé, avait saisi cette institution pour l’un de ses clients.

L’un de ses homologues, professeur de droit à la prestigieuse université Paris II Assas, ne dit pas autre chose mais va un cran plus loin dans l’analyse. « Cette décision est, en toute rigueur, sans aucun effet juridiquement », affirme-t-il d’emblée avant de s’expliquer plus avant en s’efforçant d’être didactique.

« Premièrement, il faut garder à l’esprit qu’il ne s’agit en rien d’une juridiction dont les décisions s’imposeraient en droit gabonais. Il s’agit d’une instance purement politique dont les avis sont en réalité des opinions. Deuxièmement, l’argumentaire de cette décision n’est pas contradictoire, c’est à dire à charge et à décharge. Il est exclusivement à charge. Un seul son de cloche y est reflété. Il s’agit probablement d’un copier-coller du mémo que leur ont adressé les avocats de la défense. Il y a d’ailleurs un élément qui accrédite cette idée, et c’est le troisième point : le fait que dans son argumentaire, l’UIP emploie de bout en bout le conditionnel. En clair, ‘on lui a dit que’ mais ‘elle n’en est pas sûr’. Chacun conviendra que ça n’est pas très sérieux », raille le professeur de droit, connu pour son ironie mordante.

Mais pour lui, il n’y a, à cela, rien de surprenant. « C’est en réalité largement un exercice d’expression corporatiste : une institution prend unilatéralement et aveuglement, au mépris des règles du contradictoire dont elle se prévaut par ailleurs, fait et cause pour l’un de ses membres »« Enfin », ajoute-t-il, comme s’il n’y suffisait pas, « ce genre de décision méconnait totalement l’un des principes fondamentaux les plus importants du droit : la séparation des pouvoirs. Ici, clairement, on a le Législatif qui fait immixtion dans le domaine Judiciaire », fait-il remarquer.

Pire, selon cet éminent professeur de droit, non seulement cette décision n’a aucune valeur sur le plan juridique, mais elle peut s’avérer contreproductive sur le plan politique. « Ce genre de procédé est connu. Il vise à faire pression sur les autorités. C’est une forme de ‘chantage’ pour ainsi dire. Ou bien vous traitez le dossier dans un sens favorable à mon client ou bien je salis votre image en saisissant des institutions qui rendront des décisions avec des allégations, certes plus ou moins avérées (en l’occurrence, pas du tout, semble-t-il, NDLR) mais néanmoins exprimées publiquement, qui ont vocation à frapper l’opinion, à l’instar de la torture », analyse l’universitaire.

« Mais », poursuit-il aussitôt, manifestement éclairé par l’expérience, « dans la quasi-totalité des cas, loin de céder à la pression, cela ne fait que durcir les positions des autorités, à tort ou à raison, mises en cause. En effet, la Justice n’aime rien de moins que d’être mise sous pression. Conséquence : en pratique, cela ne fait qu’aggraver le cas de la personne dont elle prétende voler au secours car les juges ont alors à cœur de montrer que, si elle a été placée en examen et incarcérée, ce n’est pas pour des raisons arbitraires mais pour des motifs éminemment valables », explique l’universitaire.

Si ce genre d’initiative est inutile, pire contreproductive, pourquoi en ce cas y recourir ? La réponse de notre juriste, très prolixe sur le sujet, fuse. « Souvent, ce procédé – c’est à dire la saisine d’institutions comme l’UIP ou encore le conseil des droits de l’Homme de l’ONU, inopportune en pareil cas), est le fait des avocats. Parfois, ceux-ci ne sachant quoi faire de réellement efficace dans le cadre de la procédure pour le compte de leur client qui a tendance à s’impatienter, ils sont tentés de faire du ‘bougisme’ afin tout simplement de justifier leurs émoluments », éclaire-t-il.

Il se peut fort, en l’espèce, que ce soit le cas. Loin d’une victoire pour Justin Ndoundagoye, cette décision de l’UIP fait alors davantage l’effet d’un coup de poignard dans le dos, asséné par ceux-là même qui prétendent plaider sa cause.