Décision controversée d’une juge au sujet d’une expertise médicale visant Ali Bongo au Gabon : « On ne défend pas la justice en s’affranchissant du droit » (ancien haut-magistrat français)

Le président gabonais Ali Bongo Ondimba © DR

Contacté par La Libreville, cet ex-haut-magistrat français, qui a récemment pris sa retraite, a accepté de livrer son analyse sur la décision controversée de la juge Akolly, premier président de la Cour d’appel de Libreville, de se déclarer compétente dans un dossier en lien avec le président de la République. 

Plus de 30 ans d’exercice au sein de la magistrature en France. Il ne lui aura donc fallu que quelques minutes pour rendre son verdict, comprendre donner sa position sur la rocambolesque affaire de la juge Akolly qui s’était déclarée compétente pour se prononcer sur le fond dans le cadre d’une action en justice mettant en cause la personne du président de la République qu’un groupe d’opposants souhaitaient contraindre à une expertise médicale pour juger de sa capacité à diriger le pays.

Décision stupéfiante

« Je connais mal le contexte gabonais », prévient d’emblée notre magistrat, « mais cette décision de la Cour d’appel de se déclarer compétente dans ce dossier est pour le moins surprenante », relève-t-il d’emblée. « Je dirais même stupéfiante. J’ai peine à croire que cette décision ait été prise par une professionnelle du droit », ajoute-t-il

« A l’évidence, de manière flagrante, en l’espèce, plusieurs grands principes de droit, dont certains probablement constitutionnels, même si je ne connais pas la Constitution gabonaise, ont été allègrement violés », dit-il sur un ton posé, quasi-professoral. Et ce haut-magistrat de citer à brûle-pourpoint : « la séparation des pouvoirs », notamment entre l’Exécutif et le Judiciaire qui interdit à un juge ordinaire de connaitre d’une action en justice mettant en cause le chef de l’Etat, « l’absence de qualité à agir des requérants » ou encore « l’autorité de la chose jugée de la Cour de cassation », non respectée par une juridiction inférieure (la Cour d’appel).

Partant, il considère que cette décision est, « de manière flagrante, à ce point viciée » qu’elle devrait « être frappée de nullité ». « Je conçois », ajoute-t-il, « comme il s’agit visiblement d’une affaire politique, que l’on soit tenté de faire dire au droit ce qu’on souhaiterait qu’il dise. Mais on ne défend pas la justice en s’affranchissant du droit », rappelle-t-il, mettant en garde contre toute « tentative d’instrumentalisation de la Justice, un travers qui, de mon point de vue, et je parle d’expérience, touche aussi bien la majorité que l’opposition », fait-il observer.

Inimaginable en France

Après quelques commentaires supplémentaires, l’ex-haut-magistrat, lâche en conclusion de notre entretien téléphonique, réalisé jeudi 22 août en fin d’après-midi : « En France, une telle décision aurait été impensable. Voir une Cour d’appel se déclarer compétente pour connaitre d’une action en Justice visant la personne du chef de l’Etat, même après que la Cour de cassation lui ait ordonné de surseoir à statuer aurait été simplement inimaginable. »

Ce lundi 19 août, suite à un avis rendu par la Cour de cassation, le ministère de la Justice a suspendue pour un mois de ses fonctions la juge Akolly.