C’est le rôle dévolu à l’ensemble des juges constitutionnels dans le monde, rappellent-ils, en concluant que l’arrêt pris hier par la Cour constitutionnelle gabonaise est tout à fait fondé car il ne s’agit pas d’une réécriture de la Loi fondamentale mais d’une précision.
Il était particulièrement attendu. Mercredi 14 novembre au soir, la présidente de la Cour Constitutionnelle gabonaise, Marie-Madeleine Mborantsuo, a rendu public un arrêt autorisant la tenue d’un Conseil des ministres présidé par le Vice-président Pierre-Claver Maganga Moussavou.
C’est sur saisine du Premier ministre Emmanuel Issoze Ngondet que la Cour constitutionnelle s’est prononcée sur la possibilité pour le vice-président de la République, Pierre-Claver Maganga Moussavou de présider le Conseil des ministres. Techniquement, celle-ci a précisé l’article 13 de la Constitution dans le cas d’une absence temporaire du chef de l’Etat.
« En cas d’indisponibilité temporaire du Président de la République pour quelque cause que ce soit, certaines fonctions dévolues à ce dernier, à l’exception de celles prévues aux articles 18, 19 et 109 alinéa 1er peuvent être exercées selon le cas, soit par le Vice-Président de la publique, soit par le Premier Ministre, sur autorisation spéciale de la Cour Constitutionnelle saisie par le Premier ministre ou un dixième des membres du Gouvernement, chaque fois que nécessaire », a tranché la Cour.
Cette décision, explique la Cour dans ses considérants, permettra « d’assurer la continuité de l’Etat gabonais et des services publics […] en l’absence temporaire », précise-t-elle à plusieurs reprises, « du président de la République » Ali Bongo, hospitalisé pour encore quelques jours à Riyad mais désormais en phase de recouvrement rapide de ses pleines capacités physiques, selon le corps médical.
Aussitôt publié, l’opposition a, sans surprise tiré à boulets rouges sur cette décision qu’elle estime ne pas lui être favorable. Celle-ci tente en effet depuis trois semaines de faire constater la vacance du pouvoir afin de provoquer des élections anticipées. Un scénario qui s’éloigne de plus en plus. Il est en effet acquis que le président Ali Bongo revienne très prochainement au Gabon et soit, d’ici-là, en mesure de réexercer pleinement ses fonctions de président.
« J’ai lu surtout dans les médias proches de l’opposition des analyses disant que cette décision a été prise ‘à la surprise générale’. Ça n’est pas sérieux d’écrire cela. C’est tout simplement faux », explique l’un des plus éminents constitutionnalistes gabonais, professeur à l’UOB. Et celui-ci d’ajouter : « les Gabonais ne sont pas tous des experts, loin de là, de droit constitutionnel. Ils ne s’attendaient donc à rien en particulier », fait-il observer.
« Ensuite, j’ai également lu que la Cour constitutionnelle avait réécrit l’article 13 de la Constitution. Là aussi, c’est faux. Cette présentation est complètement fallacieuse. Elle n’a fait que préciser le contenu d’une disposition du texte constitutionnel. Ce qui est dans ses missions et ce que font l’ensemble des cours constitutionnelles partout dans le monde », explique l’universitaire.
Un point de vue partagé par deux de ses collègues, professeur de droit constitutionnel en France, l’un à l’université Paris I Panthéon-Sorbonne, l’autre à Paris II – Panthéon Assas. Interrogés tôt ce matin par téléphone, tous deux ont la même analyse. « La Cour constitutionnelle gabonaise a, semble-t-il, fait ce que toutes les cours constitutionnelles font car c’est leur vocation : préciser la Loi fondamentale car les Constitutions sont, par nature, des textes courts qu’il convient, au fil du temps, quand certains cas de figure se posent, de préciser. Or, c’est précisément le rôle du juge constitutionnel et non celui du constituant », explique le premier qui se dit habitué par les critiques entourant de telles décisions.
« C’est classique. Les gens qui sont contre font de la politique en disant que le juge cherche à réécrire la Constitution. Mais c’est faux. Il ne fait que la préciser, comme c’est le cas en l’espèce. S’il ne le faisait pas, il n’exercerait pas ses missions », conclut-il.
Son confrère de la grande université de droit Paris II – Panthéon Assas a sensiblement la même analyse. « En fait, on fait le procès du gouvernement des juges. Mais cela n’est pas nouveau. La polémique n’est pas neuve. Elle remonte au moins à Hamilton et aux prémisses du contrôle de constitutionnalité aux Etats-Unis. En France, aussi, chaque décision du conseil constitutionnel est critiquée par les uns, applaudie par les autres », souligne ce grand constitutionnaliste.
Quant à savoir si, en l’espèce, la Cour constitutionnelle était fondée à prendre une telle décision, la réponse de ces deux professeurs de droit est la même. « Encore une fois, il s’est agi manifestement de préciser une disposition préexistante – comment tenir un conseil des ministres en l’absence temporaire du chef de l’Etat – et non d’en écrire une nouvelle. Ceux qui prétendent le contraire se trompent ou bien peut-être… veulent tromper l’opinion », font-ils mine de s’interroger en conclusion de notre entretien.