Brice Laccruche Alihanga : « au Gabon, le temps de l’impunité est révolu »

Dans son édition du 18 juin 2018, Brice Laccruche Alihanga, le directeur du président gabonais, Ali Bongo Ondimba, donne sa première grande interview. © DR – Jeune Afrique

Sa parole est rare. Elle n’en a que plus de poids. Brice Laccruche Alihanga, le directeur de cabinet du président Ali Bongo Ondimba, a accordé cette semaine à l’hebdomadaire Jeune Afrique une interview à son image. Sans concession et sans langue de bois dans laquelle il dit tout haut ce que le chef de l’Etat pense, sans aucun doute, en son for intérieur. Analyse. 

Il s’agit de sa première grande interview depuis sa nomination le 25 août 2017. Et le moins que l’on puisse dire est que Brice Laccruche Alihanga, le directeur de cabinet du président du Gabon, Ali Bongo Ondimba, n’y va pas avec le dos de la cuillère. Le propos est à l’image de celui qui le tient : franc, direct et sans langue de bois. « Cash », dirait-on, dans la novlangue d’aujourd’hui. En tout cas, loin, très loin de ce que l’on a l’habitude d’entendre dans la bouche des responsables publics gabonais, majorité et opposition confondue.

Sur la situation économique et sociale, le constat est sans concession. Sévère, diront les Cassandres. Réaliste, répondront une majorité de Gabonais. « Le Gabon a été fortement touché par la crise », reconnait d’emblée Brice Laccruche Alihanga qui avoue avoir trouvé une « situation économique délétère » lors de son entrée en fonction, brisant au passage le tabou du premier mandat, jugé décevant par une partie de l’opinion gabonaise, mais dont l’inventaire n’avait jusque-là pas été fait au sein de la mouvance présidentielle.

Pour le directeur de cabinet du président, les difficultés rencontrées au cours du premier mandat d’Ali Bongo Ondimba s’expliquent notamment par « des erreurs dans le choix des hommes et le contrôle de leur travail ». Conséquence : « quand le prix du baril était très élevé, certains se sont crus tout permis. Il y a eu de nombreux errements », concède M. Laccruche Alihanga qui a mené plusieurs opérations « mains propres » depuis sa nomination, notamment au sein de l’administration des douanes. Une action qui s’inscrit dans le cadre de l’« opération Mamba » lancée début 2017 par le président Ali Bongo. « Pour changer les pratiques, il faut en effet d’abord commencer par changer les hommes », a coutume de dire son directeur de cabinet.

Dans son esprit, il s’agit sans doute d’un préalable à ce qui suit. Dans son interview à Jeune Afrique, il rappelle en effet la volonté du chef de l’Etat gabonais, dont il est le premier collaborateur, d’ouvrir une nouvelle phase devant mener au redressement du pays, comme en témoigne le profond renouvellement depuis un an des responsables au sein de la haute-fonction publique. Ce qui suppose avant tout un devoir d’exemplarité au sommet de l’Etat pour rompre avec les affres du passé. « Nous, les plus proches collaborateurs du président, devons être exemplaires pour que tous les autres le soient aussi ». Et celui-ci d’indiquer que « des dispositions importantes ont été prises pour éviter le renouvellement des erreurs du passé ».

Dans ce processus, le Gabon défendra bec et ongle ses intérêts. C’est ce que le « dir cab » du président rappelle au détour d’une question sur le dossier Veolia. « Il faut que nos partenaires comprennent que nous avons bien l’intention de défendre nos intérêts. Nous avons changé d’époque. Le Gabon, à l’instar des autres pays d’Afrique, ne se laissera plus marcher sur les pieds. » Fermez le ban.

Sur la situation politique, M. Laccruche Alihanga fait preuve de la même franchise que sur la partie économique. « Après la présidentielle de 2016, le climat politique était très dégradé », fait-il observer avec lucidité. Mais il rappelle que, depuis, les Gabonais ont tourné la page du scrutin présidentiel d’août 2016 qui a provoqué des turbulences. « Tout le monde est passé à autre chose », dit-il, à l’exception notable de Jean Ping, qui apparaît cependant, selon M. Laccruche Alihanga, « de plus en plus isolé ». Nombre d’opposants ont en effet rejoint le gouvernement et l’écrasante majorité des partis de l’opposition s’apprêtent à prendre part aux élections législatives, contre l’avis du président de la Coalition pour la Nouvelle République (CNR) qui a longtemps plaidé pour leur boycott. Enfin, sur la question très attendue des élections législatives, le directeur de cabinet du président se montre à la fois rassurant et catégorique. « Les législatives auront bien lieu. C’est désormais une question de semaines », confie-t-il.

Enfin, Brice Laccruche Alihanga évoque ses relations avec le président de la République – « basées sur la confiance mais aussi sur l’exigence de résultats » – avec la première dame, Sylvia Bongo Ondima – dont il souligne « le rôle très important qu’elle joue aux côtés du président, ainsi que son action à la tête de sa fondation » -, ainsi qu’avec son prédécesseur, le très controversé Maixent Accrombessi. « Il y a clairement entre les directeurs de cabinet successifs une différence de style et de manière de procéder », concède Brice Laccruche Alihanga qui se défend toutefois de porter un jugement sur l’action de son prédécesseur car, dit-il, « il faut se garder de considérer le passé avec les yeux du présent ».

Au final, il y a de quoi être rassuré sur l’avenir du pays. Pour deux raisons au moins. Tout d’abord, pour être crédible sur les mesures à prendre, il faut d’abord l’être sur le constat, ce qui est le cas en l’espèce, aussi sévère – nous dirions plutôt lucide – soit-il. Oubliée la traditionnelle langue de bois, place à un langage de vérité. Ensuite, Brice Laccruche Alihanga est le premier collaborateur du président Ali Bongo Ondimba, son bras droit, son homme de confiance. Il est donc proprement impensable que les vues exprimées dans cette interview ne soit pas d’abord les siennes. Dans un régime hyper-présidentiel, où l’essentiel se décide au Palais du Bord de mer, c’est plus que rassurant et encourageant pour l’avenir du pays. Pas de doute, comme le rappelle Brice Laccruche Alihanga en conclusion de son interview, « le Gabon est entrée à sa manière dans le nouveau monde ».