Au lendemain de la décision du Gabon d’adhérer au Commonwealth, Paris relance l’affaire des Biens mal acquis

Le Palais de l'Elysée, siège de la Présidence française © DR

La banque BNP Paribas a été mise en examen le 11 mai pour « blanchiment de corruption et de détournement de fonds publics » dans l’enquête sur le patrimoine en France de la famille élargie du défunt président gabonais Omar Bongo. Une décision qui intervient dix jours seulement après l’officialisation de la demande d’adhésion du Gabon au Commonwealth, la grande organisation anglophone rivale de la Francophonie. 

C’est un curieux, très curieux hasard de calendrier.

BNP Paribas, la première banque française et européenne, a été mise en examen le 11 mai dernier pour « blanchiment de corruption et de détournement de fonds publics » dans l’affaire dite des « biens mal acquis ».

L’information a été largement relayée par l’Agence France Presse le jeudi 20 mai.

Alors que l’instruction dans ce dossier trainait en longueur depuis plusieurs années, elle a connu ces derniers jours une subite et fulgurante accélération.

La mise en examen de BNP Paribas dans ce dossier intervient une dizaine de jours à peine après la visite d’une délégation du Commonwealth à Libreville, organisation à laquelle le Gabon a la ferme intention d’adhérer.

Pour preuve, depuis une dizaine de jours, le président gabonais Ali Bongo Ondimba se trouve à Londres où il y a rencontré le Prince Charles, le premier ministre Boris Johnson, ainsi que la secrétaire générale du Commonwealth Patricia Scotland.

Les discussions ont été pour le moins concluantes puisque l’adhésion du Gabon pourraient être officialisée dès cette année à l’occasion du prochain sommet du Commonwealth prévu à Kigali au Rwanda.

Paris voit d’un très mauvais œil l’adhésion du Gabon au Commonwealth

Du coup, une question est sur toutes les lèvres : y a-t-il un lien entre la volonté de Libreville de rejoindre la grande famille du Commonwealth et à l’accélération (ou la relance, plus simplement) à Paris de l’affaire dite des Biens mal acquis ?

Pour ce journaliste français, l’un des plus fins connaisseurs du continent africain, cela ne fait aucun doute. « Paris voit d’un très mauvais œil le fait que l’un des pays du champ, comme on disait autrefois, prendre son indépendance sur le plan diplomatique et part rejoindre la grande organisation rivale de la Francophonie (…) Après le Rwanda qui avait fait de même en 2009, cela pourrait créer un dangereux précédent car le Gabon était jusqu’à présent considéré comme très francophile, en tout cas sans atavisme anglophone particulier », explique ce journaliste très chevronné.

Pour ne rien arranger selon lui, « le fait que la décision du Gabon intervienne quelques mois seulement après le Brexit ne fait qu’exacerber la colère de Paris qui, sur tous les dossiers, s’emploie à mettre des bâtons dans les roues de Londres ». 

Au Gabon, la perception de ce dossier n’est pas très éloignée. Rares sont ceux à croire à un simple hasard de calendrier. D’autant que le procédé, comme le rappelle un professeur en science politique de l’UOB, n’est pas nouveau.

Une justice instrumentalisée ?

« Dans l’Histoire politique française la plus récente, l’instrumentalisation de la Justice n’a rien d’exceptionnel. C’est même devenu ces dernières années la norme (…) Nicolas Sarkozy a depuis des années maille à partir avec la Justice. François Fillon a été mis en examen en un temps record quelques semaines avant le premier tour de la présidentielle. Et il n’y a pas plus tard que dix jours, alors que le Garde des Sceaux français Eric Dupont-Moretti venait de se porter candidat aux élections régionales pour, dit-il, ’bouter hors de là le Rassemblement national’, un rapport de police mettant en cause Marine Le Pen dans une affaire d’assitants parlementaires au Parlement européen fuitait fort opportunément dans un grand journal du dimanche (le JDD, NDLR), qui soutient notoirement le président Emmanuel Macron », fait observer, non sans malice observer, l’universitaire.

« La ficelle est un peu grosse », affirme de son côté un ministre de poids du gouvernement de Rose Christiane Ossouka Raponda, qui tient à rappeler que « dans ce dossier ni le président de la République Ali Bongo Ondimba, ni son épouse, ni ses enfants ne sont mis en cause ». Et celui-ci d’insister sur le caractère « contreproductif » de ce qu’il qualifie de « stratagème cousu de fil blanc ».

« A l’évidence, cela ne contribuera qu’à nous pousser un peu plus vite dans la sphère d’influence anglophone », assure ce ministre. « Paris le voudrait-il qu’il ne s’y prendrait pas autrement », se délecte un ambassadeur occidental en poste en Afrique centrale, pas peu satisfait de voir l’influence française dans la région se réduire à peau de chagrin. Comme quoi, cette situation ne fait pas, loin de là, que des malheureux.