Au Gabon, des syndicats dénoncent le nouveau Code du travail « progressiste » qu’ils ont pourtant co-construit avec le gouvernement !

La ministre du travail, Madeleine Berre © DR

Dimanche, 14 syndicats ont appelé les parlementaires à ne pas voter en faveur du projet de Code de travail qu’a transmis le gouvernement à l’Assemblée nationale. Motif : celui-ci ne serait pas consensuel. Problème : ce Code, qui a fait l’objet de longues concertations, est le fruit d’une co-construction entre l’Exécutif et les représentants des salariés. En bien des points, il renforce sensiblement les droits des travailleurs. Face à ce qu’il considère comme un travestissement de la réalité, le ministère de l’Emploi et du Travail a publié lundi soir une réponse aussi argumentée que millimétrée.

Est-ce une nouvelle tartufferie de la part des syndicats en mal de représentativité et qui confondent souvent syndicalisme et militantisme ? Ou bien un accès de schizophrénie ?

Ce lundi, le ministère de l’Emploi et du Travail a répondu aux accusations portées la veille par 14 d’entre eux à l’endroit du projet de nouveau Code du travail, pourtant réputé très progressiste et adapté aux évolutions socio-économiques de la société gabonaise. Nous reproduisons cette réponse dans sa version in extenso.

« Suite à une déclaration diffusée sur les réseaux sociaux le dimanche 20 juin 2021 par 14 organisations syndicales des travailleurs, relative au projet de réforme du Code du travail en examen dans les deux chambres du Parlement,  le ministère du Travail tient à apporter les explications qui suivent :

  1. La déclaration ainsi que le mémorandum affirment que le projet du Code du travail n’est pas le résultat d’un consensus tripartite, mais la volonté unilatérale du Ministère du Travail, au mépris du consensus employés-employeurs.

Sur ce point, le Ministère du Travail tient à préciser que la concertation relative à ce projet a démarré dès l’année 2019 :

  • Février 2019 : le ministère a démarré une étape de relecture et de réécriture du projet du Codedu travail compte tenu du déficit de concertation opposé par les partenaires sociaux et la nécessité d’adapter cette réforme aux enjeux de la problématique de l’emploi ;
  • Août 2019 : le ministère a initié une première concertation avec les partenaires sociaux et procédé à la remise de la version du projet aux partenaires sociaux afin que chaque partie en prenne connaissance et amende le projet de réforme ; au terme de cette concertation, une première version amendée a été remise au gouvernement pour examen ;
  • D’août 2019 à Décembre 2019 : le Ministère a redémarré une phase de relecture et de réécriture tenant compte des observations de l’ensemble des parties ;
  • Du 3 au 9 Février 2020 : Le Ministère du Travail, dans l’optique de favoriser des échanges collaboratifs et inclusifs, a fait participer aux discussions aussi bien les confédérations, les fédérations que les syndicats autonomes, permettant ainsi aux concertations d’aller au-delà du cadre défini par les disposions de la convention 144 de l’Organisation Internationale du Travail (OIT), sur les consultations tripartites relatives aux normes internationales du travail (1976). En effet, selon ces dispositions, seules les confédérations syndicales sont représentatives à ce niveau de discussion ;
  • Le Ministère a ainsi organisé une plénière générale avec plus de 300 partenaires sociaux par souci de transparence, et cette plénière a abouti à l’adoption du projet du Code avec un consensus de 81%. Un rapport de synthèse a été rédigé, validé puis signé par tous les membres des commissions régulièrement désignés par leurs représentants ;
  • Mars 2020 : au terme de cette plénière, l’ensemble des documents de travail signés ainsi que la version adoptée consensuellement, a été adressé au Bureau International du Travail pour avis et recommandations, conformément à la volonté exprimée par toutes les parties prenantes ;
  • 25 Août  2020: réception du mémorandum de commentaires techniques sur le projet de révision du Code du travail du BIT et remise de ce document aux partenaires sociaux ;
  • 3 septembre 2020 : reprise des concertations avec les membres des bureaux des commissions de la plénière conformément à la volonté exprimée par écrit des partenaires sociaux ;
  • 30 décembre 2020 : remise de la version finale revue par les partenairessociaux, incluant les recommandations du BIT ; version du projet dûment signée et paraphée par les membres des bureaux des commissions et toutes les parties ; chaque partie ayant eu une version signée et paraphée du projet de réforme ;
  • 19 février 2021 : adoption du projet du Code du travail en conseil des ministres ;
  • Mars 2021 : transmission au Parlement pour adoption.

La version du Code du travail a donc fait l’objet de la plus large concertation jamais réalisée pour une réforme sociale et ce dans l’esprit de la convention n°144 de l’OIT.

  • Le mémorandum des travailleurs affirme que 80 % des recommandations des travailleurs ne se retrouvent pas dans la version transmise au Parlement.

Sur ce point, le projet de réforme a obtenu un consensus général dans la version remise au Ministère du travail le 30 décembre 2020.

Le Ministère du Travail n’a apporté aucune modification sur cette version, en dehors des aspects liés à la prise en compte de la stratégie sur les éliminations des inégalités Homme- Femme en milieu professionnel aux articles 6, 9, 16, 168, et 206.

Le Ministère du Travail tient à préciser que cette réforme sociale, au sens de la convention n°144 de l’OIT, implique un dialogue social consultatif et non une négociation.

  • Sur les quatre (4) articles relevés par le mémorandum dans une réforme en contenant 411, le Ministère du Travail précise ce qui suit :
    •  Sur le nouvel article 209 prévoyant un mois de préavis pour la femme allaitante dans le cadre de sa démission sans préavis, le même article maintient la dispense de verser l’indemnité de préavis ; cette disposition se justifie pour permettre à la femme de pouvoir procéder à la passation de ses dossiers et à l’employeur de pourvoir à son remplacement ;
  •  Sur la suppression du groupe de mots « réels et sérieux », le Code maintient que la résiliation du contrat de travail est subordonnée au respect d’une procédure fermement encadrée dans laquelle l’employeur doit justifier les motifs du licenciement, qui ne peuvent être inhérents à la personne du travailleur, à son appartenance syndicale, à l’exercice de ses droits légaux ou contractuels, ou pour des raisons discriminatoires. Le caractère réel et sérieux a toujours relevé de l’appréciation des juges ; ces aspects sont encadrés notamment à l’article 88 du projet du Code du travail qui prévoit clairement que le licenciement prononcé sans fondement est abusif. Cette disposition protège donc le travailleur.
  •  Sur l’article 16 du projet du Code ayant supprimé les peines, il y a lieu d’indiquer que la réforme, loin de réduire les droits des travailleurs, comble plusieurs lacunes de l’ancien Code du travail, ainsi que le prouvent les innovations ci-après.

Ainsi la réforme :

  • innove et consacre le statut du délégué syndical en fixant les modalités de sa désignation, institue sa protection et étend celle-ci aux membres du directoire du syndicat ;
  • renforce les droits des partenaires dans les procédures de résiliation ;
  • encadre les modalités d’élection des délégués syndicaux au sein des entreprises, comblant ainsi une lacune de la loi actuelle ;
  • fixe les critères de représentativité des organisations syndicales ;
  • fixe les modalités des élections professionnelles ;
  • consacre le dialogue social et l’obligation d’un rapport social.
  •  Sur l’article 22 du projet de code, celui-ci ne consacre nullement la précarisation du CDD, mais permet juste à l’employeur de notifier sa volonté de mettre un terme au CDD dans l’hypothèse de l’absence du travailleur ; cette notification est faite auprès du délégué uniquement en cas d’absence du travailleur.
  •  Sur le droit de grève, le projet de réforme consacre le droit de grève à la différence du Code actuel, augmente la durée du préavis de grève pour privilégier le dialogue social et encadre le service minimum. Le nouvel article 378 protège le travailleur gréviste en affirmant que le licenciement en absence de faute lourde pendant la grève est nul de plein droit (nouvelle disposition de la réforme).
  •  Sur l’emploi de la main d’œuvre étrangère pour les grands chantiers, cette disposition existe déjà dans le droit positif gabonais à travers le décret 162 du 7 mars 2016 ; c’est d’ailleurs cette disposition qui a permis d’octroyer les autorisations de travail pour les travaux du siège de l’Assemblée nationale.

Enfin, le ministère du Travail constate que seuls 4 articles sur 411 contenus dans le projet font l’objet d’une grande médiatisation, sans tenir compte de la portée de l’ensemble de la réforme.

Le Ministère du Travail rappelle que de 2019 à 2020, ce sont plus de 300 partenaires sociaux qui ont pris part aux différents travaux de concertation. Plus spécifiquement, la version consensuelle de la réforme du code du travail a été paraphée et signée notamment par 18 membres des bureaux des commissions de la concertation, parmi lesquels l’ONEP, la COSYGA, la CGSL, le SYNEC, le SYNA-CNSS, SYNTEE+, le SYMIGA.

Le ministère du Travail constate, pour le regretter, que les organisations ayant participé à ce processus collaboratif et constructif, remettent en cause la validation des conclusions auxquelles elles ont pris part.

Le Ministère du Travail affirme enfin sa disponibilité et son engagement dans la conduite de cette importante réforme, dédiée à la croissance des emplois dans notre pays. »