Après deux jours de discussions et de tergiversations, Alternance 2023 a finalement désigné son candidat. Ce sera Albert Ondo Ossa. Nous avons aussitôt demandé à l’un des plus imminents professeurs en science politique de l’UOB son avis. Son analyse, loin des poncifs médiatiques habituels, est particulièrement éclairante. Interview.
Que vous inspire l’annonce de la désignation d’Albert Ondo Ossa comme candidat d’Alternance 2023 à la présidentielle ?
Je dirais : tout ça pour ça. La montagne a accouché d’une souris. Si les rapports de force politique avaient été respectés, c’est Alexandre Barro Chambrier, Paulette Missambo, voire Raymond Ndong Sima, qui auraient été désignés. Mais aucun des gros candidats n’ayant sans doute voulu céder sa place à l’autre, au final, sous la pression d’avoir à désigner un candidat commun, le choix s’est porté sur le plus petit dénominateur commun. De plus, Albert Ondo Ossa a déjà 69 ans. C’est un ancien ministre d’Omar Bongo. Pour beaucoup de Gabonais, c’est un homme du passé. Surtout, il n’a aucun machine politique, aucun parti, aucun élu derrière lui. Albert Ondo Ossa est un éminent professeur, mais c’est un second couteau en politique. Au final, j’ai l’impression d’un acte manqué. C’est comme si Alternance 2023 avait déjà intégré sa défaite et qu’elle avait désigné le candidat idoine pour ça.
Vous pensez que du côté de Barro Chambrier ou de Missambo, c’est la déception ?
Et comment ! Vous n’avez qu’à voir leurs visages lors de la déclaration de presse diffusée en direct. Tous deux été crispés. Leurs mines graves. Aucun sourire. Cette élection, ça devait être leur moment. Ils en ont été privés.
Est-ce tout de même un événement dans cette campagne ?
C’est un événement en puissance qui a été transformé en non-événement en raison de la personnalité désignée. Si ça avait été Barro Chambrier, Missambo ou Ndong Sima, les choses auraient eu une toute autre allure. Cela restera au final comme une simple séquence de communication politique. Depuis plusieurs heures, on a tenu en haleine les Gabonais, on a crée de l’attente, du suspense. Mais je ne suis pas sûr que le résultat soit à la hauteur. Et ce dont je suis certain, c’est que sur le plan électoral, la portée d’une telle annonce est extrêmement limitée, pour ne pas dire nulle.
Electoralement, ça n’a pas d’impact ?
Si Barro Chambrier ou Missambo avait été désigné, l’impact sur le plan électoral aurait pu être sensible. Mais avec Albert Ondo Ossa, je crains que cet impact ne soit que très marginal. D’autant qu’il faut garder à l’esprit le fait qu’Albert Ondo Ossa n’est pas le candidat unique, ni même commun de l’opposition. Il n’est qu’un des candidats de l’opposition parmi d’autres. Avant sa désignation, il y avait 19 candidats. 5 se sont retirés. Il en reste donc 14. L’un est le candidat du PDG, le président Ali Bongo Ondimba, mais les 13 autres sont de l’opposition. Donc Albert Ondo Ossa est l’un des 13 candidats de l’opposition. C’est pourquoi cette annonce ne fera guère bouger les lignes sur le plan électoral, et peut-être même aucune en raison du choix du candidat désigné.
L’intention d’Alternance 2023, avec cette annonce, n’est-ce pas de dire que ce que l’opposition a fait en 2016, elle peut le rééditer en 2023 ?
Oui, en théorie. Alternance 2023 veut faire croire qu’elle peut rééditer le « coup » réalisé par Jean Ping en 2016. Mais ça ne sera pas possible pour deux raisons. La première, c’est que, sans lui faire injure, Albert Ondo Ossa n’est pas Jean Ping. Les deux ne boxent pas dans la même catégorie. La seconde tient au fait que cette élection, contrairement à la précédente, se joue avec un bulletin unique sur lequel figure le candidat à la présidentielle et celui de son parti dans telle ou telle circonscription. Voter pour l’un, c’est voter pour l’autre. Ce qui signifie que cette élection donne l’avantage à ceux qui sont le mieux ancrés sur le terrain, dans leur circonscription. Or, sur ce plan, il n’y a pas photo. Lors des dernières législatives, d’octobre 2018, sur les 143 sièges à l’Assemblée nationale, le PDG en a raflé plus de 120, n’en laissant qu’une vingtaine à l’opposition et aux indépendants. Au Gabon, la vie politique locale, est dominée par le PDG. Et c’est cet élément qui sera décisif lors du scrutin du 26 août.
L’ancrage local, c’est la variable majeure de cette élection ?
Oui, c’est ça qui sera déterminant.
Dans ces conditions, que peut espérer Alternance 2023 ?
Pas grand chose et encore moins avec la désignation d’un candidat de second ordre. Ma thèse, depuis le départ, c’est qu’Alternance 2023 prépare le terrain pour la contestation des résultats après l’élection. Elle sait pertinemment qu’elle ne pourra l’emporter. Jean Ping le lui a clairement dit (en juillet dernier sur RFI et France 24, NDLR). Son objectif, à travers la désignation d’un candidat consensuel, c’est de pouvoir crédibiliser son discours de contestation après l’annonce des résultats. ‘Voyez, nous nous sommes unis et ils disent que nous avons perdu ces élections. Ils mentent. Il y a eu fraude. Etc. etc.’ C’est ce qu’ils diront au soir de l’annonce des résultats. Mais la défaite de l’opposition et la victoire de la majorité ne seront pas à rechercher ailleurs que dans l’analyse de la carte électorale, circonscription par circonscription ; dans les effets du bulletin unique ; mais aussi, depuis ce soir, dans la désignation d’un ‘candidat consensuel’ qui n’est, à l’évidence, pas celui que la grande majorité des sympathisants de l’opposition attendaient.