[Analyse] Grand remue-ménage à la tête du Gabon : Quelle stratégie poursuit Ali Bongo Ondimba ?

Le chef de l'Etat gabonais Ali Bongo Ondimba, déterminé, présidant le très stratégique conseil des ministres du jeudi 7 novembre où tout s'est décidé © DR

Au-delà de la lecture politique, pour ne pas dire politicienne, largement faite des importants changements intervenus cette semaine au sein du cabinet présidentiel, du gouvernement et de la haute-administration au Gabon, rares sont ceux qui se sont réellement interrogés sur la stratégie et, partant, l’objectif du chef de l’Etat Ali Bongo Ondimba. Décryptage. 

Cette semaine, le Gabon a vécu des événements politiques intenses, comme il ne s’en produit que quelques uns par décennie. Il n’en fallait pas moins pour que certains parlent d’une révolution… de palais.

Dans un pays régi par le système présidentiel, tout changement au sein – et a fortiori à la tête – du cabinet présidentiel, ne passe pas, loin s’en faut, inaperçu. On aurait tort cependant de faire du changement de directeur de cabinet de la présidence de la République cette semaine une simple lecture politicienne, celle d’une lutte intestine entre les différents clans au pouvoir.

Plus d’expérience et davantage d’expertise

Le remplacement de Brice Laccruche Alihanga par Théophile Ogandaga s’analyse dans le cadre d’une volonté plus large du président Ali Bongo Ondimba de renforcer l’expérience, mais également, par endroits, l’expertise de ses proches collaborateurs comme de ceux qui sont au gouvernement ou à la tête des principales administrations ou agences publiques du pays.

Pour succéder au fringuant Brice Laccruche Alihanga, 39 ans à peine, Ali Bongo Ondimba a choisi un homme d’expérience, un technocrate, sobre et discret, réputé pour sa maîtrise des dossiers, Théophile Ogandaga. A 59 ans, ce ressortissant de l’Ogooué-Maritime et du Moyen-Ogooué, ex-DG d’Olam Gabon depuis décembre 2018, le principal employeur privé du pays, « un Etat dans l’Etat », a passé une quinzaine d’années à Shell au Gabon, puis en expatriation aux Pays-Bas.

C’est cette même double volonté, injecter de l’expérience et, partant, un surcroît d’expertise, qui a présidé au choix de François Ntombo Tsibah pour remplacer Christian Patrichi Tanasa à la tête de la Gabon Oil Company (GOC), la structure publique qui gère les participations de l’Etat dans le secteur pétrolier et gazier.

Idem pour le remplacement d’Ismaël Ondias Souna à la direction générale de la Société équatoriale des mines (SEM). Celui-ci a été remplacé par le géotechnicien David Ossibadjouo, un spécialiste reconnu du secteur des mines. Diplôme d’administration publique des mines à l’Université de Laval en France, ce dernier a été directeur général-adjoint de Nouvelle Gabon Mining (NGM) et conseiller chargé de la recherche et de l’exploitation minière au ministère des Mines. Le moment est crucial car un nouveau code est entré en vigueur, en 2017 pour les mines, en juillet 2019 pour les hydrocarbures et les investisseurs ont de nouveau pris la direction de Libreville.

Quant au choix de Séverin Anguilé pour remplacer Renaud Allogho Akoue à la tête de la CNAMGS, il s’est agi de trouver un niveau d’expertise au moins équivalent, les deux hommes ayant sensiblement le même âge et étant tous deux sur-dipômés. Jusqu’alors directeur général de NSIA Assurances au Gabon, l’un des plus importants groupes du secteur en Afrique francophone, Séverin Anguilé, en tant qu’assureur, connait parfaitement les enjeux de protection sociale (santé et autres prestations) dont est précisément chargée l’institution qu’il dirige désormais.

Rationalisation des périmètres ministériels

Cette double volonté de privilégier l’expérience et l’expertise a également présidé au différents réajustements ministériels ce jeudi 7 novembre. Hugues Mbadinga Madiya a récupéré le super maroquin des Infrastructures, Transports et Travaux publics dévolu jusque-là à Justin Ndoundangoye. A l’heure où le gouvernement a fait de la construction et de la réhabilitation des infrastructures de transport sa priorité, et où les chantiers doivent voir le jour sans creuser l’endettement du pays, donc en favorisant les financements innovants, les PPP notamment, qui de mieux placé que l’ex-directeur de la Dette, devenu par la suite directeur de cabinet du premier ministre, un poste très exigeant, pour occuper cette fonction ministérielle stratégique ? Une fonction sur laquelle les projecteurs seront braqués dans les mois à venir en raison notamment du lancement de la Transgabonaise, un chantier titanesque puisqu’il s’agit de construire une route de 780 km de long, traversant cinq des neufs province du pays, d’est en ouest, de Franceville à Owendo.

Dans la même veine, le fait de replacer les mines dans le giron du ministère des Hydrocarbures, piloté par l’expérimenté Noël Mboumba, en le retirant du giron du ministère de l’Energie et des Ressources hydrauliques, participent d’une volonté de rationalisation sectoriel du périmètre des différents ministères. C’est en effet la même stratégie qui prévaut dans le secteur minier et dans celui des hydrocarbures. Le Gabon entend renégocier avec les multinationales afin de tirer le meilleur parti des richesses de son sous-sol. D’où une politique active de prise de participations via la GOC dans le secteur pétrolier et gazier et les discussions en cours, dans le secteur minier, avec le français Eramet en vue d’une éventuelle montée de l’Etat gabonais au capital de la Comilog, la filiale gabonaise de la multinationale française.

Enfin, de manière un peu rapide, certains ont évoqué une purge, une chasse aux sorcières à l’endroit des Ajeviens. D’une part, ceux-ci, quand ils ont été remplacés à leur poste (directeur de cabinet présidentiel, GOC, SEM, CNAMGS, ministère des Transports, des Mines…) l’ont été au bénéfice, répétons-le, de personnes expérimentées, ayant derrière eux une longue carrière dans les secteurs concernés. Par ailleurs, des proches de l’ex-directeur de cabinet ont été promu, à l’instar du porte-parole de la présidence et directeur de la communication présidentielle, devenu également conseiller politique, Ike Ngouoni, ou de Patrichi Tanasa qui, bien que démis de ses fonctions de DG de la GOC, retrouve la présidence de la République à un poste plus élevé dans l’ordre protocolaire qu’auparavant : celui de conseiller politique.

Le cas Laccruche Alihanga

Enfin, il faut relire le message diffusé par Brice Laccruche Alihanga, jeudi soir, suite à l’annonce de son départ de la direction du cabinet présidentiel et de son entrée au gouvernement. Celui-ci a indiqué vouloir continuer à servir « son président et son pays  » au poste qui sera désormais le sien. Une formule d’usage, diront certains, sauf que ce poste, que certains médias, revanchards, se plaisent à dépeindre comme de second ordre, Laccruche Alihanga ne l’a pas boudé contrairement à d’autres dans un passé récent (Emmanuel Issoze Ngondet, Arnaud Engandji…).

« Ceux qui présentent l’entrée au gouvernement de Brice Laccruche Alihanga comme une disgrâce prennent sans doute leurs fantasmes pour la réalité. En tout cas, ils se fourvoient lourdement », explique un journaliste d’un grand média international, qui a résidé ces dernières années à Libreville, avant de s’installer en Afrique de l’Ouest.

« Il est de bon ton actuellement de gloser sur un Laccruche Icare qui se serait brûlé les ailes à force de vouloir monter trop haut, trop rapidement. C’est méconnaître les méandres de la vie politique gabonaise. Les choses sont infiniment plus complexes », analyse quant à lui un ambassadeur occidental en poste dans le pays.

« Laccruche Alihanga avait une mission : tenir la maison Bongo durant la tempête (l’AVC du président et la période de convalescence qui s’en est suivie. Cette mission a été remplie. Le président gabonais définitivement sorti d’affaire, sans doute l’heure était-elle venue pour son directeur de cabinet de passer à autre chose », complète-t-il.

Une analyse très éloignée des lectures simplistes, par trop évidentes, qui ont fleuri ça et là depuis jeudi dernier.